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France ; et que la brèche qu’on appelle le Pas de Calais n’est qu’une fracture, une sorte de perforation mécanique, bien antérieure sans doute aux premiers temps historiques ou même légendaires, mais d’un âge géologique relativement récent[1]. Le frottement continu des eaux de la mer, les coups de bélier des vagues de tempête, la violence des courans littoraux, la désagrégation lente résultant des actions atmosphériques ont ensuite découpé peu à peu par tranches les deux grandes murailles qui se font face, et dont les escarpes sont comme les bajoyers d’une écluse gigantesque faisant communiquer les eaux de la Manche avec celles de la mer du Nord. Cette dislocation qui frappe tous les yeux s’accentue tous les jours et l’on ne saurait l’arrêter.

Il est fort probable aussi que le sol de la Haute-Normandie et celui de la Grande-Bretagne, sa voisine, se sont soulevés peu à peu, laissant la mer, au fond de laquelle la craie et les silex se sont alternativement déposés en longues stratifications parallèles, maîtresse de tout l’espace intermédiaire. Les couches de tourbe et de lignite, que l’on retrouve au large à plus de 4 000 mètres au-devant du Tréport et de Criel, vis-à-vis des embouchures de la Bresle et de l’Yères, et que la sonde rencontre à une profondeur relativement assez faible, prouvent d’une manière irrécusable que l’épais banc crayeux, noyé depuis une longue période de siècles, a été recouvert autrefois par une puissante végétation.

Quoi qu’il en soit, la brèche existe aujourd’hui. Depuis l’origine de notre période géologique, elle ne cesse de s’agrandir, et il est même possible de se rendre compte, dans une certaine mesure, de ce que la mer a dévoré pendant la durée des derniers siècles qui viennent de s’écouler. Il résulte, en effet, des constatations très précises faites par les ingénieurs des ponts et chaussées, que la saillie rocheuse sur laquelle est établi le phare d’Ailly, à une dizaine de kilomètres environ à l’Ouest de Dieppe, a reculé de 0m, 80 par an dans la période de 1800 à 1847. En certains points, le recul de la falaise a été beaucoup plus rapide ; et nous avons déjà parlé de la petite église de Sainte-Adresse, qui

  1. « Les eaux de la Manche ont ainsi rencontré celles de la mer du Nord à une époque qui, suivant un géologue anglais, M. Philipps, remonterait à 60 000 ans, et l’isthme de jonction rattachant l’Angleterre à la France aurait été alors rompu par la pression des deux mers. » — J. Girard, les Soulèvemens et les dépressions du sol sur les côtes de la France. Bulletin de la Société de géographie, sept. 1875.