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crépita sur La terrasse, cependant que Zahara et ses esclaves, accourues au bruit, remplissaient l’air de leurs cris de désespoir et d’effroi. À ce moment arrivait le messager que le vali envoyait, chaque semaine, chez le peintre, pour réclamer le travail promis. La maison de Mohammed Al ben Azziz n’était plus qu’un brasier mal éteint où l’eau sifflait parmi les cendres fumantes. Et le cheick Seef ben Saïd, à apprendre cette nouvelle, fut grandement mortifié :

« Allah, murmura-t-il, n’a point approuvé mon entreprise, et Mohammed avait raison en refusant d’exécuter pour moi cette figure de cire. Iblis l’a emporté dans le séjour des damnés, car on n’a rien retrouvé de son corps non plus que de sa statue. »


II. — HISTOIRE DE LA BAYADÈRE POUMI ET DU PRINCE CHATOUN

Chatoun Bahadour, plus connu sous le nom de Vandriamah Chatoun, était un simple soubadar d’Arni qui parvint, au temps de l’empereur Ferucksiar, à s’emparer de la citadelle de Ghiwa, puis à détrôner le nabab Soupraza Chandraja Bidji par une série d’intrigues dont l’histoire n’a point enregistré le détail. Alors cet homme de rien, et qui appartenait bien juste à la caste des Soudras, ne craignit pas de prendre le titre de rajah. Il osa même se passer de l’investiture régulière que pouvait seul lui donner le roi de Vijianagar ; et celui-ci fut très irrité de ce manquement aux plus habituelles convenances. Toutefois il ne reçut point à sa cour le malencontreux Bidji, ainsi dépossédé. Mais il lui conseilla d’attendre le bon plaisir des Dieux à qui l’on doit, en tout temps, se soumettre, et il lui défendit, sous peine de la vie, de séjourner dans ses États. De telle sorte que Bidji n’eut plus d’autre retraite que les cavernes du ghât ou labri incertain de la jungle. Toutefois Bidji ne désespéra pas de la protection de Vishnou qui gouverne le monde, assis sur une tortue, pour indiquer que la justice est lente à venir, et il se constitua caller, c’est-à-dire voleur des grands chemins, avec ses compagnons fidèles que retenait auprès de lui la proscription où les avait enveloppés Chatoun. La faveur de la déesse Kali procura aux callers quelques occasions de gagner. Ils purent dépouiller deux caravanes de marchands qui se rendaient à Trichinopoly. Ainsi Bidji put-il accumuler quelques milliers de roupies et cesser de désespérer de l’avenir