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compartimens carrés les torses dont la taille, sanglée par les hauberts à anneaux plus fins que les écailles des serpens, était fine comme celle des femmes. Tous ces gens de guerre portaient à l’arçon gauche de leur selle, plus crochu que les babouches de la bégom, la lourde épée des sacrifices, une rondache en cuir de rhinocéros battait derrière leur cuisse. Certains n’avaient pas de lance, mais un cimeterre à lame en spatule étincelait à leur poing droit d’où retombait un gland à trois lobes, avec des perles blanches comme pendans.

Sous les caparaçons à modillons en losanges d’argent, marqués de quatre feuilles en émail vert à leur centre, les chevaux blancs, presque bleuâtres, encensaient, agitaient leurs brides de soie rattachées aux mors par des bosselles découpées à l’image de l’amalaka des temples. Leur queue et leurs pieds étaient peints en rouge, et leurs naseaux noirs et veloutés étaient fendus comme il convient aux chevaux de guerre. Mais, dans les rangs pressés et d’hommes et de hôtes, régnait un silence tel, qu’on entendait le chant des bengalis qui mangeaient le riz dans leur volière en filigrane, suspendue à une fenêtre de marbre. Et, quand les chevaux commencèrent d’avancer, la corne blonde de leurs sabots ne sonnait pas sur la terre. La bégom connut à ces signes que c’étaient là des créatures surnaturelles et que leurs habitudes n’étaient point celles du commun des êtres. Car ils ressemblaient en tout à des ombres, et elle ne percevait aucun bruit. Elle n’en entendit pas davantage quand ils descendirent la rampe de pierre : devant eux les degrés parurent s’aplanir, les murs semblèrent s’abaisser, l’on put croire que le fossé se comblait.

Maintenant ils étaient dans la plaine où ils volaient comme les grands oiseaux qui, au coucher du soleil, regagnent les îles des fleuves. Ils atteignirent le camp des assiégeans, balayèrent les tentes comme l’ouragan des orages, et l’on pouvait voir les chameaux, tous de terreur, se traîner dans la boue, sur les genoux, sans pouvoir se débarrasser de leurs entraves. Les cavaliers silencieux fauchaient dans la foule des fuyards où les lames luisantes s’abattaient, moissonnant des épis humains, et les coups étaient si pressés, que sur les flancs des escadrons, on aurait dit qu’il pleuvait du sang, dans un vol de bras et de têtes. Les cris confus des Musulmans arrivaient jusqu’aux murailles, dominés par la voix stridente des émirs qui cherchaient à rallier leurs bandes et frappaient du long cimeterre les lâches qui essayaient de se