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l’ombre et le mystère, il semble qu’il aurait eu sa place dans le groupe des poètes prophètes. Par ses prestigieuses et naïves évocations du passé, il nous rappelle les trouvères de notre Xe siècle, à moins que ce ne soit le vieil Homère lui-même. Et, par l’abondance, la violence et la continuité de ses invectives, qui déconcertent les hommes d’aujourd’hui, médiocres même dans la haine, il éveille en nous l’idée des Archiloque et des Tyrtée. Il est clair qu’à de telles distances le rapprochement ne saurait être très serré ; toutefois tel est bien le point de vue où se sont placés les derniers commentateurs du poète. C’est M. Renouvier, qui nous donne un livre curieux et neuf dont le titre seul, Victor Hugo, le philosophe, semble déjà un paradoxe. C’est M. Eugène Rigal, qui, dans un travail consciencieux, solide et louable de tous points, étudie Victor Hugo poète épique. Enfin, M. Stapfer, dans Victor Hugo et la grande poésie satirique, consacre au sujet annoncé un certain nombre de pages noyées dans des digressions pour lesquelles il est bien évident que le livre a été écrit et qui, je le crains, ne réussiront à fâcher personne. Chacune de ces études a un caractère général, l’auteur s’étant proposé, non pas seulement de mettre en lumière un coin particulier de l’œuvre du poète, mais plutôt d’en apercevoir d’un certain angle l’ensemble. Ce sont trois essais d’interprétation du génie du poète. Cherchons donc ce que vaut chaque explication en elle-même, et si d’ailleurs cette triple faculté philosophique, épique et satirique ; ne pourrait pas se ramener à une autre, par laquelle le génie de Victor Hugo à travers ces diverses manifestations se retrouverait identique à lui-même.

Considérer Victor Hugo comme philosophe, c’est, il faut l’avouer, ce à quoi nous sommes le moins préparés. Ç’a été longtemps un des thèmes ordinaires de la critique que d’opposer sur ce point les prétentions du poète à leurs résultats effectifs ; et la solennité de ses déclarations ou la magnificence de ses promesses ne servait qu’à mieux, faire ressortir l’impuissance où il était de les tenir. On se répétait les belles strophes de Ibo :


Je suis le poète farouche,
L’homme devoir,
Le souffle des douleurs, la bouche
Du clairon noir ;

Le rêveur qui sur ses registres
Met les vivans,
Qui mêle des strophes sinistres
Aux quatre vents ;