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allons retrouver démesurés, enflés, grossis, mais non certes dénaturés par ce lyrisme qui a rompu ses digues.

Le trait essentiel du génie de Hugo est à coup sûr son verbalisme. Personne n’a été un plus grand trouveur de mots, et sur personne les mots n’ont exercé un pouvoir plus absolu. C’est des mots que dérivent chez lui les idées, les sentimens, les actes. On peut en croire M. Stapfer, quand il nous dit que ces évolutions de doctrines ou de croyances, dont on a si souvent fait reproche ou fait gloire à Victor Hugo, ne sont que les évolutions de sa faculté verbale et ont leur source dans les nécessités de son vocabulaire : « Son catholicisme et son royalisme lui étaient entrés au cœur par l’imagination ; ils en ont été chassés non point par une profonde crise de l’intelligence, mais par les besoins nouveaux de son vocabulaire, par la rapide extension de sa gamme poétique, qui, d’abord contente d’un simple clavier, exigea bientôt d’autres notes et la symphonie de tout un orchestre. C’est l’image, c’est le verbe, c’est le mot qui seul a engendré toutes les théories religieuses, politiques, sociales, morales et littéraires de Victor Hugo. » Ces mots sont des images, et, — c’est la remarque la plus curieuse et pleine de conséquences qu’on ait faite sur les procédés de Victor Hugo[1], — le travail d’analyse, qui est pour nous le résultat de longs siècles de culture, n’existe pas pour lui. Tandis que nous distinguons soigneusement l’idée des sensations à propos desquelles nous l’avons conçue, et les sensations elles-mêmes de l’objet qui les a provoquées en nous, pour Victor Hugo, l’idée, la sensation, l’objet, ne font qu’un. Pour que les données de la sensation s’organisent en images, il est nécessaire qu’elles se simplifient et qu’elles s’exagèrent ; simplification et outrance sont les procédés habituels de Victor Hugo. Ces images, pour se préciser, s’opposent, et c’est l’effet de cette figure de l’antithèse qui est pour Victor Hugo non pas un moyen de rhétorique, mais la condition même du jeu de sa pensée. Il pense en images et il imagine en antithèses. Mots, images, oppositions, voilà les ressources inépuisables que Victor Hugo trouve en lui toutes prêtes, la matière qui n’attend pour s’animer que l’appel de ses émotions personnelles, de ses sympathies, de ses colères, de ses aspirations.

Il est un vaincu de la politique. Sa déception va être le scandale du siècle ; son échec va être la défaite du droit et celle de la conscience humaine. La confusion se fait spontanément dans son esprit. Il ne s’inquiète ni si les théories auxquelles il se range sont en contradiction

  1. Cf. F. Brunetière, Évolution de la poésie lyrique.