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Après la déroute, Frédéric écrivait à Finckenstein : « Mon malheur est de vivre encore ! D’une armée de 48 000 hommes, je n’en ai pas 3 000. Dans le moment que je parle, tout fuit et je ne suis plus maître de mes gens ; » (Politische Correspondenz, XVIII, 2e partie, page 481) ; et au même, le 20 août : « J’aurai bientôt 33 000 hommes dans mon camp. C’en serait assez si mes meilleurs officiers y étaient et si les b… voulaient faire leur devoir… Pour ne rien déguiser, je vous dirai que je crains plus mes troupes que l’ennemi. »

Ces régimens de mercenaires capitulaient dès qu’ils n’étaient plus suffisamment encadrés.

Le général Finck, cerné à Maxen par les Autrichiens, n’avait pas pu se faire jour. Le 20 novembre 1759, 12 000 hommes et 510 officiers mettaient bas les armes, abandonnant 71 canons et 120 drapeaux ou étendards.

Le 29 juin 1760, le général Benkendorf se rendait près de Köslin. Le 23 juillet, un corps prussien commandé par La Motte-Fouqué, capitulait à Landshut. Le 8 octobre, c’était le tour de Berlin, où les Russes entraient en triomphe et frappaient des contributions de guerre.

Cependant les généraux russes, Apraxine, Fermor, Soltykoff, étaient bien loin d’avoir la valeur des généraux prussiens ; à plus forte raison, ne pouvaient-ils être comparés au génie de Frédéric.

Les défaites répétées de ce grand capitaine ne s’expliquent donc que par la valeur du soldat russe comparée à celle du soldat prussien de cette époque.

L’armée russe était recrutée par une sorte de conscription qui portait principalement sur les dix gouvernemens de la grande Russie. Un oukase du souverain ordonnait la levée d’un certain nombre de soldats par mille âmes, et il appartenait aux propriétaires du sol de fournir ce contingent, presque exclusivement composé de serfs paysans. Aucun soldat n’entrait dans l’armée par le racolage, comme en France, ou en Prusse, et elle ne comptait pas d’engagés volontaires. C’était la partie de la nation qui avait fait l’Empire, et qui le servait avec un dévouement que ne pouvait avoir l’armée de mercenaires de Frédéric.

Après la bataille de Jægersdorf, Apraxine écrit à l’impératrice Elisabeth :

« Votre Majesté, par le chiffre des pertes, pourra voir