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grands mots d’honneur, d’indépendance, de christianisme, de liberté. Ils ont lutté avec acharnement contre la France révolutionnaire ; mais la Révolution organisée, ordonnée, leur semble un ennemi bien autrement dangereux que la Révolution anarchique, la Révolution en piques et en haillons, avec son Etre suprême, ses guillotines et ses sans-culottides. Anti-chrétienne, niveleuse, déprédatrice, elle se dressait comme un épouvantail. La république consulaire dégage une contagion plus menaçante et plus insidieuse. L’exemple que donne la France de l’éviction légale d’une aristocratie terrienne par le paysan et le petit bourgeois, d’un immense transfert de la propriété, divisée et démocratisée, réalise, pour le peuple anglais, une propagande singulièrement plus alléchante que l’égalité dans la misère. L’intérêt des paysans et des bourgeois anglais travaillait contre la Révolution française, il menace désormais de parler pour elle, et d’autant plus que cette révolution, avec ses bienfaits pratiques et tangibles, se transforme en une machine d’Etat plus productive et mieux combinée pour le bien-être du petit peuple laborieux.

Or l’Angleterre semble mûre pour une révolution de ce genre. « Elle était imminente, dit un historien anglais. L’esprit public était excité ; les passions démocratiques commençaient à s’agiter ; le désir du pouvoir, sous le nom de réforme, s’était répandu parmi les classes moyennes, et les institutions de notre pays étaient menacées d’un choc aussi violent que celui qui venait de bouleverser la monarchie en France. Le seul remède était d’engager le pays dans une guerre étrangère ; elle renouvellerait l’antique valeur et ferait oublier les réformes. »

Avant tout, elle rompra les communications avec la France. L’aristocratie dérivera de la sorte l’inondation qui la menace. Elle montrera au peuple des manufactures que la guerre seule peut assurer à l’industrie, qui le fait vivre, les débouchés dont elle a besoin sur le continent, et, aux colonies, l’expansion qui lui est nécessaire. En gouvernant selon les passions et les intérêts immédiats de cette classe, chefs d’usine et ouvriers, négocians et banquiers, l’aristocratie les intéressera au gouvernement et, du même coup, les en tiendra pour longtemps éloignés.

De cette vue politique va sortir une nouvelle économie d’Etat : l’accroissement des impôts qui n’appauvrit point une nation, quand les ressources de cette nation augmentent par son travail. Du temps de Pitt, durant la guerre, disait-on