Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 11.djvu/125

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la Méditerranée. Markof, fort anti-français, se pique d’y mettre aussi peu de bonne grâce que possible. A lire ses entretiens avec Bonaparte, en 1802, on croit se tromper de date et tenir le volume de 1808. Ce ne sont que bienfaits reprochés et réclamations de reconnaissance insuffisante. Bonaparte laisse Markof dérouler ses remontrances et filer ses discours. Vergennes, ministre intègre du vertueux Louis XVI, n’eût point exhorté en d’autres termes les copartageans de la Pologne. Bonaparte répond du ton dont la grande Catherine eût relevé le ministre du Roi Très Chrétien qui eût osé lui parler de la sorte. « Le roi de Sardaigne, restauré dans ses États, n’eût été qu’un préfet français, exposé à être destitué au premier sujet de mécontentement ; » qu’attend-on du Consul ? « il lui laisse encore l’île de Sardaigne ; » « il a laissé » subsister le royaume de Naples ; en Allemagne, il a balancé la puissance de l’Autriche et celle de la Prusse par la création d’une puissance tierce, la Bavière ; l’Autriche, d’ailleurs, ajoute-t-il, « n’est déjà que trop puissante et le deviendra encore davantage lorsqu’elle sera appelée au partage de l’empire ottoman, menacé d’une dissolution prochaine[1]. » Une autre fois, sur le même sujet du Piémont, il avait déclaré : « La justice des États est leur intérêt et leur convenance[2]. Je ne me dessaisirai pas du Piémont aussi longtemps que les Autrichiens garderont un pouce de terrain en Italie[3]. » Sur quoi, Alexandre, de lui écrire, le 21 octobre 1802 : « Aussi longtemps que cet ordre de choses subsistera, il me sera impossible, quelque soit, au reste, mon désir sincère de vous faire plaisir, de reconnaître le roi d’Etrurie et les républiques d’Italie. »


V

Ce sont là des propos de guerre, des avant-coureurs de coalition. Bonaparte se fortifie, assure les communications entre les marches de la République, pousse ses lignes d’investissement, ses têtes de pont, ses bastions. Le voilà rejeté sur le continent et par la politique des coalisés d’hier, coalisés de demain, et par

  1. Rapport de Markof, 20 octobre 1802.
  2. « Les convenances de l’Europe sont le droit, » dira Alexandre à Talleyrand, à Vienne en 1814, à propos de la Pologne qu’il veut prendre pour lui et de la Saxe qu’il veut confisquer pour la Prusse.
  3. Rapport de Markof, 11 avril, 5 juin 1802.