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livrera pas à tous les promoteurs de troubles et de guerre de formidables bastions dont les innombrables armées russes et autrichiennes n’ont pu s’emparer pendant l’an VII et l’an VIII. »


« Appliquez-vous à faire ressortir de toute manière cette fierté qui doit animer tous vos discours, tantôt parle raisonnement, tantôt par des images. Laissez entrevoir que le premier coup de canon peut créer subitement l’empire gaulois. Donnez à entendre jusqu’à quel degré une nouvelle guerre peut porter la gloire et la puissance du Premier Consul. Il a trente-trois ans et il n’a encore détruit que des États de second ordre ; qui sait ce qu’il lui faudrait de temps, s’il y était forcé, pour changer de nouveau la face de l’Europe et ressusciter l’empire d’Occident ? »


Cet étonnant ultimatum passerait pour la fanfaronnade gigantesque de quelque matamore politique, si toutes les menaces qu’il contient n’avaient été exécutées en moins de cinq années et ne représentaient qu’une partie de la grande destruction d’États qui commençait. Bonaparte conclut : Tout le traité d’Amiens, rien que le traité d’Amiens, c’est-à-dire l’évacuation de Malte, qui est au traité, et nulle réclamation sur le Piémont, la République italienne, la Ligurie, l’Etrurie, la Suisse, qui n’y sont pas. À quoi Hawkesbury, lorsque, le 29 octobre, Otto lui communique cette terrible note, répond par cette injonction non moins péremptoire : L’état du continent, tel qu’il était alors (au moment du traité) et rien que cet état ; c’est-à-dire point de Piémont annexé, ni de Ligurie, ni d’Helvétie en tutelle ; sinon, l’Angleterre gardera Malte.


VII

Bonaparte ne connaissait pas, il ne connut jamais les Anglais. Il le montra en deux circonstances solennelles de sa vie, le 23 octobre 1802, où il crut leur faire peur, avec son Quos ego, les traitant comme Neptune les divinités inférieures de la mer, et le 14 juillet 18lo, où il leur parla comme Thémistocle, et fit appel à leur magnanimité. Grave erreur qui fut la sienne de croire qu’on peut effrayer les Anglais par des paroles, les contenir par des menaces, et les réduire à la banqueroute en leur fermant le continent. Il s’imagina vraiment les avoir atterrés, et, se figurant qu’il avait gagné le répit qu’il lui fallait, il se remit à son œuvre de réorganisation pacifique de la France, qui était son intérêt capital. Son gouvernement s’y était engagé à fond et