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intensité de gesticulations et une justesse d’expressions rares ; moins savoureux et moins chaud que lui dans ses colorations et moins sensible à l’harmonie d’ensemble, procédant, comme les vieux miniaturistes et les vieux fresquistes, par juxtaposition de tonalités plus que par leur fusion, il parle plus vivement aux yeux par la netteté de sa mise en scène. Ce peintre d’histoire continue d’ailleurs le travail d’observation entrepris par Van Eyck, en donnant à ses actions des fonds, toujours exacts, d’architectures et de paysages et en excellant, comme lui, dans l’analyse de la physionomie humaine. L’unique portrait par Roger, envoyé à Bruges, celui du Trésorier de la Toison d’or, Pierre Madelin, une tête brune, pensive, énergique, d’une physionomie un peu inquiète, au regard pénétrant, le montre même, sous ce rapport, un exécutant déjà plus souple et tout à fait libre. Les autres ouvrages, exposés sous son nom, nous semblent moins significatifs ; mais, si les chefs-d’œuvre de Roger ne sont pas là, son âme émue et douloureuse, comme l’âme sereine et contemplative de Van Eyck, est répandue, de tous côtés, autour de lui, chez tous ses successeurs, flamands et hollandais, depuis le maître de Flemalle jusqu’à Quentin Metsys, en passant par Thierri Bouts, Van der Goes, Memlinc et bien d’autres.

Le maître dit de Flemalle (Jacques Daret, de Tournai ? ), signalé depuis quelques années, contemporain de Van der Weyden, exagéra dans ses figures, notamment dans ses types de femme, les âpretés plastiques de Roger. Ses Vierges, aisément reconnaissables, avec leur nez trop long, leurs yeux trop rapprochés, d’une blancheur dure et d’un aspect sec, sont plutôt déplaisantes. Nous en retrouvons ici un exemplaire bien caractéristique dans cette Vierge, triste et revêche, dont la tête est nimbée par un van d’osier suspendu à la muraille, que nous avions déjà vue, en 1900, au Pavillon belge. Le triptyque du musée de Liverpool, où l’on retrouve son Crucifiement, de style rude et trivial, mais très saisissant, du musée de Francfort, ne semble être qu’une imitation très réduite d’après ce curieux maître, assurément sans charme, mais vigoureux et personnel Un illustre successeur de Roger, Van der Goes, mort jeune et fou, en 1482, dans un cloître, n’est pas malheureusement représenté à Bruges par des œuvres indiscutables. On sait combien l’admirable triptyque, la Nativité, envoyé à Florence, vers 1470, par les Portinari, les directeurs de la banque Médicis à Bruges,