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plus mêlés que Van Eyck à la société familière des saints et des saintes. Il semble que la musique idéale des sons et des douces paroles fût alors, à Bruges, l’accompagnement obligé de la musique visible des couleurs et des formes, aussi bien dans les œuvres d’art que dans le train ordinaire des fêtes mondaines et des pratiques pieuses. Les concours de musique y étaient en grand honneur ; on vit à l’un d’eux venir, en 1484, le célèbre maître de chapelle du château de Tours, le favori de Louis XI et l’ami de Jehan Fouquet, Jehan Okegam.

L’agonie de Bruges, qui fut assez longue, eut à traverser des crises douloureuses. C’est dans une de ces périodes de convulsion qu’apparaît, pour la première fois, le nom d’un grand artiste, Gérard David, le digne successeur de Memlinc. Nom longtemps incertain, gloire longtemps oubliée, que l’enthousiasme patient de M. Weale a seul (depuis trente ans) remis en belle lumière. C’est Gérard David qui, à l’exposition de Bruges, est pour le grand public, la révélation la plus surprenante et, pour les spécialistes, l’affirmation définitive la plus complète d’une personnalité supérieure. Gérard David, né à Ouwater, était Hollandais, élève, à Harlem sans doute, soit d’Albert Van Ouwater, comme G. Van Sint Jant, de Leyde, soit de Thierri Bouts. On le trouve inscrit comme maître peintre à Bruges en 1481. Quatre ans après, les Brugeois, exaspérés par les exactions allemandes, se soulèvent contre Maximilien d’Autriche, roi des Romains. L’archiduc est enfermé sur la place du Marché, dans le Cranenburg, au coin de la rue Saint-Amand, du 31 juillet au 28 février. Comme on allait décapiter, sur la place, plusieurs de ses partisans, convaincus de trahison, les anciens bourgmestres Gilbert du Homme, Jan Van Nieuwenhove, Jacob de Ghistelle et le juge Peter Lanchals, le gouvernement populaire, pour épargner à son prisonnier ce triste spectacle, le fit transporter, entre l’église Saint-Jacques et le pont aux Anes, dans l’hôtel de Jean de Gros, chancelier de l’Ordre de la Toison d’Or. Le logis était magnifique, mais la municipalité dut en faire griller les fenêtres pour éviter l’évasion, et, joignant encore la courtoisie à la prudence, afin que les yeux de son impérial otage ne fussent point trop attristés par ces ferronneries, elle chargea le peintre de la Commune, Gérard David, de les dissimuler sous des couches de couleurs agréables. Gérard David reçut pour ce travail, qui rentrait alors dans les devoirs de la profession, la somme de 2 livres