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Peter Lanchals probablement, est encore assis, son bonnet à la main, sur son siège de magistrat ; le roi Cambyse, coiffé d’une toque avec enseigne d’orfèvrerie, portant robe de brocart génois et manteau d’hermine, le regarde sévèrement, et lui compte sur ses doigts les causes de son indignité. Lanchals, le bras droit déjà saisi par un estafier, écoute en silence, fixant Cambyse d’un œil surpris et résigné. Rien de plus émouvant que l’expression froide, contenue et profonde, de ces deux adversaires, le criminel et le justicier. Il n’y a pas moins d’observation virile et fine dans la façon variée dont la curiosité, la compassion, l’indifférence se traduisent, sans nulle affectation, sur les visages de tous les assistans, courtisans, soldats, magistrats, auxquels les contemporains pouvaient donner leur nom. C’est d’un art admirable, qui, heureusement, n’a encore rien de l’art pour l’art.

Dans l’autre panneau, le Supplice, la réalité est traduite avec plus d’énergie encore. Lanchals (c’est bien le même personnage) est étendu sur une table, pieds et poings liés, les traits convulsés, les dents serrées, se mordant les lèvres pour ne pas geindre. Quatre bourreaux, attentifs et propres comme des internes à l’amphithéâtre, travaillent à sa dissection. L’un, à la tête, lui fend, de son scalpel, la peau sur la poitrine ; deux autres, à ses côtés, lui découpent celle du bras ; un quatrième, plus expéditif, lui extrait le mollet et le genou gauches, sanglans, à vif, de leur épiderme, comme une pièce anatomique d’une gaine collante. Les quatre opérateurs accomplissent leur besogne avec une conscience extrême. Pour ne pas salir son couteau sur la planche ensanglantée, le dernier l’a pris dans la bouche et le serre vivement entre ses dents. Cambyse est là, debout contre la table, couronne au front, portant le sceptre, justicier en apparence impassible, mais détournant pourtant ses regards, jetés dans le vide, à la fois du supplicié et des assistans. Quelques-uns de ceux-ci font de même ; quelques autres, gravement émus, tiennent les yeux abaissés vers le misérable. Dans l’éloignement, on voit le fils de Sisamnès, installé sur son fauteuil de magistrat, dont le dossier est tapissé par la peau de son père, comme, dans le fond de l’Arrestation, on voyait, sous le porche de son logis, Sisamnès recevant une bourse de la main d’un plaideur. C’est la même vigueur et le même soin d’exécution dans les deux scènes, avec les mêmes fonds admirables d’architectures et de verdures, et la même puissance d’effet due à l’intensité austère des expressions