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poursuit à New-York. Là, Henry refuse au Maître de Ballantrae tout argent et le laisse végéter, dans une échoppe de « stop-peur.

Mais, un jour, le courrier d’Écosse lui ayant apporté des journaux où leur querelle de famille était exposée tout au long et où l’on contestait les droits de son fils Alexandre à l’héritage de Durrisder, Henry qui avait donné des signes de folie conçoit le projet de se débarrasser de son frère aîné. Exploitant sa passion pour les aventures, il le décide à prendre part à une expédition à la recherche d’un trésor caché dans les forêts du Canada et le Master y périt en effet, Henry arrive pour constater sa mort; mais, au moment où l’on exhume le cadavre de son frère, le fidèle Indien, à force de massage, ayant réussi à faire rouvrir les paupières du Master, lord Durrisder est frappé de terreur et tombe mort. On ensevelit les deux frères dans le même tombeau. Tel est en abrégé ce roman fertile en incidens dramatiques, mais dont la trame est interrompue trop souvent par le récit des aventures du Master et de son compagnon, le chevalier Burke.

Le portrait des deux frères est comme tracé au burin, l’aîné doué d’esprit et de. pensée, fier de son titre, jaloux de dominer, intrépide dans la lutte, mais viveur, libertin, dépensier et ne reculant devant aucun moyen pour se procurer de l’argent. Le cadet, moins intelligent, mais tout aussi brave, économe par nécessité, aimant Alison et jaloux de l’affection fidèle qu’elle porte au Master. Tous deux âpres et vindicatifs; concentrant en eux-mêmes des passions violentes qui les rendent, en certains conflits, capables des plus grands crimes.

L’amour, ce grand ressort des ouvrages romanesques, tenu à l’écart par Stevenson dans ses premières œuvres, parait timidement dans la Flèche Noire et dans la Baie de Falesoa, et ne vient au premier plan que dans ses trois derniers romans. On dirait que, ébloui par les charmes du sexe, il ne se sentait pas assez de sang-froid pour analyser un caractère de femme. Mais, quand son talent plus calme et son esprit réconcilié par une douce expérience ont abordé le sujet brûlant, Stevenson s’est montré à la hauteur des plus grands peintres de caractère ; Flora Gilchrist, Christina Elliot et sa tante la vieille Kirstie, Catriona Drummond, sont d’exquises figures de femmes. Commençons par les deux œuvres inachevées, Saint-Ives et Weir de Hermiston.

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