Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 11.djvu/249

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du brahmanisme, ces mosquées toutes simples et géométriques sous leurs revêtemens d’arabesques, élancées entre leurs minarets frôles, et trouvant le moyen de rester neigeusement blanches comme celles de l’Hedjaz, malgré cette poussière rouge d’ici, qui ensanglante toutes choses !

Un va-et-vient de fourmilière, une coulée humaine en mouvement suffirait, aujourd’hui veille de fête, à me guider vers le rocher-temple, dont la proue se dresse là-bas au-dessus de la ville.

Il est composé de trois ou quatre monstrueux blocs, sans une fissure, presque sans une ride, jetés les uns sur les autres. Leurs parois, bombées comme des flancs d’animaux, et polies par le ruissellement des eaux du ciel, surplombent à faire peur. Alentour, un véritable nuage de corbeaux tourbillonne en croassant.

Entre de hautes colonnes en granit d’un dessin tourmenté, entre des milliers de clochetons et d’idoles, — tout cela fruste et sans âge, — un escalier monumental s’enfonce dans la nuit du roc. De jeunes éléphans, qui sont sacrés et issus de parens sacrés, se tiennent là, bouchant presque cette entrée ; ils sont couverts de petites sonnettes, enfilées et formant des guirlandes ; au passage, ils me frôlent de leur trompe, en caresse enfantine. Et mon ascension commence, dans l’obscurité presque soudaine, en même temps que des musiques religieuses m’arrivent de toutes parts, augmentées par la sonorité des grottes, ayant l’air de sortir des entrailles de la terre.

C’est, il va sans dire, un monde de temples superposés, de cryptes, de galeries, de couloirs, d’escaliers, les uns permis seulement aux prêtres et s’enfonçant dans le noir mystérieux. Il y a des statues dans tous les recoins, dans tous les angles, tantôt petites comme des gnomes, tantôt colossales, mais toujours mutilées par le temps, n’ayant plus que des tronçons de bras, des moitiés de visage.

Visiteur non initié, je dois me borner à monter par la grande voie centrale, ouverte à tous, entre de splendides colonnes monolithes, couvertes de dessins et de figures, — mais dont la base, jusqu’à hauteur humaine, a perdu toute forme sous une usure luisante et grasse ; sans trêve, depuis les siècles qui ne se comptent plus, des nudités chaudes se sont pressées dans la pénombre de ces passages trop étroits, et des sueurs ont imbibé profondément les roches. Jadis, et à tous les âges du monde, les parois, même les marches et les dalles, avaient été gravées d’inscriptions et de