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de figures, il y a des choses presque barbares, des huttes de chaume, de naïves petites charrettes d’autrefois, de rudes et primitifs objets de labour ; au pied de ce vieux rempart, tout est délabré, fruste, empreint d’on ne sait quelle sauvagerie lointaine.

Le soleil se couche, et il est bien tard pour franchir ce seuil. Dans les nefs infinies, sous les lourdes pierres des voûtes, le crépuscule est commencé. Si j’entre là à cette heure, c’est surtout pour m’enquérir de la procession de demain, interroger les prêtres, qui passent comme de petites ombres perdues dans l’immensité des colonnades ; mais les indications que j’obtiens sont vagues et contradictoires : ce sera cette nuit, ou plus tard ça dépendra du temps ; ça dépendra de la lune… Je le vois bien, on ne tient pas à ce que j’assiste.

Toutefois, dans une galerie sonore, — bordée d’un bout à l’autre par des tigres fantastiques et des chevaux plus grands que nature, qui se tiennent sur deux rangs, debout et cabrés le long des parois, — un vieux prêtre au visage très doux me renseigne enfin : ce sera au lever du soleil, très certainement, et, pour plus de sûreté, je ferais bien de passer la nuit ici même.

Je vais alors remonter en voiture, regagner le petit logis où la faim me rappelle, et revenir aussitôt dormir dans le temple.

La belle lune d’argent rayonne quand je quitte à nouveau la « maison du voyageur, » après souper. On dirait qu’il neige, tant est blanche cette lune, sur le sol dénudé, sur la chaux des murs. Les mimosas d’alentour sont perméables à ses rayons pâles comme le seraient nos arbres en hiver, tant sont légers leurs branchages, aux imperceptibles feuilles. Leurs petites fleurs aussi, qui sont des houppes de duvet, imitent des flocons, imitent du givre. — On croirait un paysage septentrional, égaré dans l’extrême chaleur. — Mais rien n’étonne plus, en ce pays où tout devient toujours spectacle imprévu pour les yeux, fantasmagorie, changeant mirage.

L’illusion d’hiver est furtive, du reste, car on retrouve bien vite, au sortir de cette clairière desséchée, l’ombre précise des grandes palmes, les banians et les lianes.

La ville à cette heure est en pleine fête illuminée ; tous les temples ouverts, même les moindres, grands à peine comme des armoires, sont garnis de petites lampes et de guirlandes