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retourner dans l’avenue extérieure où j’étais hier et où la procession sans doute ne tardera plus à se mettre en marche.

Lorsque j’arrive, le dieu d’or doit être en place, son transfert terminé, du temple dans le kiosque, et du kiosque dans le char, car tout est tranquille alentour. Et les éléphans sacrés, dévêtus de leurs belles robes, reposent chacun sur son estrade de granit et dans sa stalle, des deux côtés de la grande porte du temple ; le sceau terrible de Vichnou est peint sur leur front large, le même sceau que sur le front des hommes, mais agrandi, décuplé, et ils regardent de leur petit œil entendu, là-bas devant eux, le char préparé qu’ils vont suivre.

Il fait presque jour et le soleil n’est plus loin de surgir. Le char a ses quatre roues monstrueuses et tous les câbles sont élongés. Maintenant les grands-prêtres brahmes descendent du kiosque où ils avaient passé la nuit en prières ; devant eux descend la théorie des éphèbes qui portent les torches à trois flammes, et qui les éteignent à mesure, en arrivant dehors dans la clarté du jour naissant ; eux, les vieillards sacrés, apparaissent l’un après l’autre, d’abord à la lueur fumeuse des résines, et en lointain, en haut de l’escalier noir ; mais par degrés, à chaque marche descendue, leur image se précise sous la fraîche lumière nouvelle, et ce sont d’étonnantes figures mystiques aux cheveux blancs ; au-dessus du front, ils se sont rasés jusqu’au sommet de la tête, pour pouvoir inscrire plus largement le sceau fourchu de leur dieu. Dans leur oubli des choses terrestres, ils sont presque nus, un pagne de toile autour de la taille, et leur fine cordelette de lin, signe de caste, se mêle à l’épaisse toison blanche qui croît sur leur poitrine.

On enlève à présent la passerelle, drapée de vieilles soies étranges, qui rejoignait le char à la fenêtre du kiosque et qui a servi tout à l’heure au Vichnou d’or. Et un orchestre de musiciens à figure noire entonne quelque chose d’assourdissant, qui est lugubre et sauvage à faire frémir ; les uns battent du tam-tam, les autres soufflent à pleins poumons dans des trompes gigantesques, qui ont l’air de hurler à la mort, redressées toutes vers le dieu invisible.

La décoration du char est finie. Sur l’avant, pour imiter l’attelage d’un quadrige, on a placé quatre grands chevaux en bois, furieux et cabrés, qui battent l’air de leurs pattes et de leurs ailes. Autour du trône du dieu, que masquent d’impénétrables