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voûtes ; des ailes noires, de large envergure et qui feraient grand bruit si c’étaient des ailes de plumes, s’agitent partout là-haut, sans que rien ne s’entende…

Dans une cour intérieure, à ciel ouvert, je retrouve pour un instant la clarté du soir. Il n’y a là personne, mais des paons y font la roue, perchés sur des bêtes en granit. Au-dessus du mur d’enceinte, s’élèvent, plus ou moins lointaines, les tours rouges et vertes du temple, les toujours surprenantes pyramides de dieux ; à mi-hauteur de ces amas de personnages, hirondelles et perruches s’agitent autour des nids suspendus, et plus près du faîte hérissé de pointes, que le soleil illumine encore, des corbeaux tournent follement avec des aigles.

Au-delà de cette cour, dans une partie plus profonde du sanctuaire, je trouve enfin le prêtre auquel je suis particulièrement recommandé et qui doit me montrer les parures de la déesse.

Ce n’est pas demain, paraît-il, que je pourrai les voir, car demain est une journée de grande fête religieuse. De même que le Vichnou de Chri-Ragam fait tous les ans le tour de son temple dans un char, le Shiva et la Parvâti de Madura font ensemble chaque année, dans une barque, le tour d’un grand lac, creusé pour eux. Et nous sommes la veille du jour consacré à cette promenade.

Mais après-demain, de grand matin, dès qu’il fera clair dans le temple, on m’ouvrira les portes des nefs secrètes et on étalera devant moi les trésors.


VIII. — LA BARQUE DE SHIVA

La barque, il va sans dire, est une chose extravagante et gigantesque, mais une chose éphémère qui se rebâtit chaque année ; sur un radeau plus largo qu’un navire à trois ponts, c’est une sorte de palais de féerie charpenté en bambous légers, avec des surfaces en carton doré ou en soie ; il y a des tours comme celles des temples, des chevaux en papier, des éiéphans en papier, et tout est pavoisé de banderoles flottantes ; à nos yeux d’Européen, cela se sauve par son étrange té extrême, par la fantaisie très orientale et archaïque de la décoration.

Deux heures de l’après-midi. Un soleil torride sur le lac et sur ses bords solitaires. La barque est là qui attend, amarrée aux escaliers massifs, toute neuve et clinquante dans le décor