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mi-jambe dans l’eau précieuse, et deux par deux, tenant au bout d’une corde une outre en peau de mouton, ils la balancent d’un mouvement automatique, rythmé par une mélopée qu’ils chantent, et tour à tour la remplissent, ou bien en déversent le contenu dans une rigole plus élevée, qui va se perdre parmi les sillons du riz, encore à peu près vivant et frais.

Pour les puits, toujours placés sous des arbres, c’est une autre chanson, une autre manière. Le seau s’accroche au bout d’une très longue perche, qui est posée en balancier à la tête d’un mât et sur laquelle deux hommes debout se promènent, avec de gracieuses agilités de gymnaste, en se tenant des mains aux branches voisines : trois pas dans un sens, et la perche, vers le puits, s’abaisse, et le seau plonge ; trois pas à rebours, et la perche se relève, et le seau remonte ; ainsi de suite, du matin au soir, sans cesser de chanter.

La sécheresse, à mesure que l’on va, menace de devenir angoissante. On rencontre bientôt les premiers arbres morts, brûlés comme par un incendie, les feuilles roulées en papillotte, sous une couche de cette poussière rouge, qui dans le Sud ne teignait que les monumens, mais qui par ici se met à ensanglanter même les plantes. Et combien, devant cet assoiffement de la terre et sous ce ciel sans pluie, on juge l’impuissance du petit travail humain, des petits seaux d’eau remontés un à un, du fond des sources de plus en plus basses et taries ! On commence à concevoir la réalité et à pressentir l’approche de l’affreuse famine, qui, avant l’arrivée aux Indes, vous semblait un fléau préhistorique, et qui n’a vraiment plus d’excuse devant l’humanité, à notre époque où les paquebots, les chemins de fer seraient là pour apporter la nourriture à ceux qui meurent de faim.


XI. — A PONDICHÉRY

Les bois de cocotiers, les grandes palmes reparaissent encore aux approches de Pondichéry, notre vieille petite colonie languissante. La région d’alentour, épargnée jusqu’à présent par la dévorante sécheresse, me semble une sorte d’oasis, que des ruisseaux et des pluies n’ont pas cessé d’arroser et qui rappelle un peu la belle verdure du Sud.

Pondichéry !… De tous ces noms de nos colonies anciennes, qui charmaient tant mon imagination d’enfant, celui de