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Elle mime une scène de séduction et de reproches. Derrière elle, là-bas, des musiciens la chantent, cette scène, et en accompagnent la mélodie avec des tambourins et des flûtes. Elle aussi, tout en la jouant, la chante en sourdine, d’une petite voix qui n’est pas destinée à être entendue, mais qui est pour soi-même, pour s’aider la mémoire et pour se pénétrer mieux des différentes phases dramatiques.

Du bout de la salle, où elle était un peu dans l’obscurité, la voici qui arrive, créature tout en or et en joyaux, lançant des feux ; elle fonce sur moi, accusatrice, indignée, le regard plein de menace et de courroux ; elle me gêne, elle m’intimide, avec ses grands gestes comme pour prendre le ciel à témoin de quelque forfait que j’aurais commis…

Et puis, tout à coup, elle éclate de rire, la bayadère, suprêmement moqueuse, m’accablant d’un dédain persifleur, me désignant du doigt aux railleries de la foule. Son ironie, bien entendu, est factice, autant que tout à l’heure étaient ses imprécations superbes. Mais c’est merveilleux comme imitation. Dans sa gorge soulevée, on entend sonner ce rire amer, au timbre un peu grave. Elle rit avec sa bouche, avec ses yeux et ses sourcils, avec sa poitrine, avec ses seins, que l’on voit tressauter. Elle s’éloigne, convulsée, et c’est irrésistible : il faut rire aussi.

De toute la vitesse de ses petits pieds, elle était partie à reculons, détournant la tête, par excès de mépris, pour ne même plus me voir. Mais à présent elle revient, lente et solennelle : c’était du dépit, ces sarcasmes ; son amour a été le plus fort, elle revient vaincue par la passion souveraine, me tendant les mains, implorant mon pardon, s’offrant toute dans une dernière prière. Et, quand elle s’en va cette fois, la taille cambrée, la lèvre entr’ouverte sur ses dents blanches et sous les diamans accrochés à ses narines, elle veut que je la suive, elle le veut absolument ; elle m’appelle des bras, des seins, des yeux pâmés ; elle m’attire de tout son être, comme si elle était aimantée. Et, pour un peu, je la suivrais, sans le vouloir, dans l’hypnose où à la fin elle me jette. Bien entendu, il est faux, son appel d’amour, il fait partie de sa comédie comme son rire ; on le sait, mais il n’y perd rien pour cela ; peut-être même, de le savoir, qu’il est faux, cela lui donne-t-il un mauvais charme de plus…

Aussi longtemps qu’elle joue, une sorte de magnétisme, dirait-on, ou de lien invisible, l’unit à deux chanteurs de