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Monsieur avait commencé par lutter contre l’ennui. Il s’était formé une belle bibliothèque et avait attiré des gens de lettres à sa cour, dans l’espoir de reprendre goût à la littérature, qu’il avait aimée dans sa jeunesse. Il s’était souvenu de ses collections d’objets d’art et de curiosités, les avait continuées et en avait commencé de nouvelles. Rien n’avait pu vaincre son indifférence, à l’exception d’un Jardin des plantes, dont il s’occupait avec plaisir. Tout le reste avait semblé puéril infiniment à un homme qui avait contribué si longtemps à faire l’histoire de son pays ; il lui était devenu impossible d’attacher de l’importance aux petits vers de ses beaux-esprits et de se passionner pour des oiseaux empaillés, ou même pour une médaille antique.

De guerre lasse, il se jeta dans la dévotion. La gazette de Loret en fit part officiellement à la France et tint le pays au courant des progrès de Gaston dans la voie de la piété. Le premier gage qu’il donna de sa conversion fut de se corriger d’un défaut qui lui avait attiré jadis de Richelieu d’inutiles remontrances. Ce prince d’esprit si raffiné jurait et sacrait abominablement. L’habitude s’en était communiquée à son entourage ; nous savons que Mademoiselle elle-même avait le verbe vif dans les momens d’irritation. En décembre 1652, jurons et blasphèmes furent sévèrement interdits à la cour de Blois, et Monsieur y tint la main. Aujourd’hui, rapportait la Gazette,


Aucun de ceux qui sont à lui,
Quelque malheur qui lui survienne,
N’oserait jurer la mordienne.


On apprit ensuite que ces beaux commencemens ne s’étaient pas démentis et que Monsieur était maintenant « moins souvent chez lui qu’à l’église[1]. » Les Parisiens et la cour de France eurent beaucoup de peine à admettre qu’un esprit aussi libre et aussi sceptique fût venu à résipiscence. — « Sa piété serait entièrement estimable, écrivait Mme de Motteville, si sa paresse n’avait point eu quelque petite part à sa vertu. » Et quand cela serait ? La dévotion de Gaston n’en fut pas moins sincère. Il réforma sa vie et finit par trouver au pied des autels, à défaut de contentement, un peu de patience et de résignation. Toutefois, ce fut long avenir ; les commencemens de l’exil

  1. Gazette du 22 août 1654.