Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 11.djvu/324

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme il se représentera lui-même dans ses Mémoires, comme « un homme d’un très grand esprit… ayant dans la tête le courage que l’on a dans le cœur, » conseiller sage, mais peu écouté, d’un maître très imprudent, modérateur de la France en Europe, déplorant les actes auxquels il collabore, la politique dont il est l’instrument, et insinuant que, dans l’intérêt même de la France, une résistance de l’Angleterre, une résistance surtout de la Russie, seraient un bienfait pour le monde et sauveraient la paix.

Joseph Bonaparte, toujours aux aguets de la diplomatie, gémissant du joug qu’il subit de son cadet, colporte, en les blâmant sournoisement, les intempérances de langage du Cons il, les emportemens de sa polémique. Il condamne une guerre qui menace d’ensanglanter l’Europe, une guerre que l’on peut éviter, que, dira-t-il peu après, « sans l’extravagante mission de son Sébastiani, nous n’aurions jamais eue. » Il laisse fronder autour de lui. Il écoute volontiers son confident et ami, Miot, lui répéter : « La France ne partage pas cette susceptibilité politique, seul motif qu’on produise et qui tend à rallumer un nouvel incendie… La paix est le véritable objet de la nation. » Et Joseph se sent l’homme de la nation. Il ne lui déplaît point qu’on le murmure dans les salons où fréquentent les diplomates. « Le traité d’Amiens, écrit Mme de Staël, fut conclu lorsque les succès de Bonaparte en Italie le rendaient déjà maître du continent ; les conditions en étaient très désavantageuses pour les Anglais, et, pendant l’année qu’il subsista, Bonaparte se permit des empiétemens tellement redoutables, qu’après la faute de signer ce traité, celle de ne pas le rompre eût été la plus grande. »

Les Anglais sont persuadés que la guerre détruira le charme et déchirera le voile qui cache aux yeux des Français l’égoïsme et l’ambition outrée de Bonaparte ; ils cesseront de voir en lui l’héritier de la Révolution ; ils découvriront le condottiere qui en abuse. Les complots contre son gouvernement et contre sa personne en seront facilités. On parle de factions dans l’armée, notamment dans celle de l’Ouest, où commande Bernadotte, et c’est précisément dans ces pays, où la sédition couve toujours, que les émigrés méditent un débarquement, quelque coup fourré sur Brest : l’Angleterre y recommencerait le jeu de Toulon, en 1793. Ce n’est pas le cas d’expulser Georges et « ses officiers. » Un agitateur, intrigant et policier, Méhée de la Touche, se