Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 11.djvu/336

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

années : dans l’une et l’autre combinaison, Bonaparte s’emploierait à leur procurer Lampedusa[1]. Cette ouverture officielle se double d’une négociation secrète qui montre à quel point les ministres anglais se croyaient sûrs des partisans qu’ils avaient à Paris, de leur zèle et de leur influence.

Un sieur Huber, citoyen suisse, ami de lord Auckland et qui entra plus tard dans le service de la trésorerie, résidant alors à Paris et fort répandu dans le monde complexe et mêlé des amis de l’Angleterre, fut chargé d’insinuer que si Bonaparte cédait sur l’article de Malte, le cabinet de Londres ne s’opposerait pas à la transformation de son Consulat à vie en pouvoir héréditaire : à cette insinuation se joignait l’arrière-pensée d’un traité de commerce. Huber porta ces paroles à Regnaud de Saint-Jean-d’Angély et à Joseph Bonaparte qu’il supposait, naturellement, intéressé dans l’affaire, puisque de frère du consul, de citoyen frère, il passerait altesse, Monsieur, et prince du sang ! Mais Bonaparte n’en voulut rien entendre. Il lui parut que ce mélange de couronne et de tarifs, de trafic de dynastie et de commerce le ravalerait devant la nation ; que la France qui relèverait peut-être au trône pour combattre les Anglais, surtout pour les avoir vaincus, ne lui pardonnerait pas de céder Malte pour acheter la reconnaissance par l’Angleterre de sa « promotion » à l’empire. L’empire des Gaules, dans sa pensée, était sa grande machine de guerre contre les Anglais, non un titre de courtoisie octroyé par le roi George. Enfin, persuadé que les Anglais ne rendraient point Malte, la proposition lui parut un piège. « Malte ou rien, » demeura donc sa maxime.

Le 23 avril, Hawkesbury renouvela ses réclamations, et sa dépêche prit la forme d’un ultimatum. Whitworth, en cas de refus, demanderait ses passeports. Le Premier Consul aurait jusqu’au 2 mai pour faire connaître sa réponse.

Whitworth reçut cette dépêche le 25 avril et, le 26, en remit la teneur à Talleyrand. Le 28 avril, fut portée une loi sur les douanes qui ne laissait point de jour à des arrangemens de commerce avec l’Angleterre. Ce fut une perturbation générale dans le monde des affaires et parmi les « amis de l’Angleterre. » « Ce qui restait d’amis de la liberté, rapporte Miot, n’envisageaient, dans les revers que la guerre pourrait amener, que ruines

  1. Rapport de Whitworth, il avril ; Hawkesbury à Whitworth, 13 avril 1803.