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l’avait trop fait souffrir pour qu’il pût jamais se décider à recommencer. Nous avons causé gentiment et je l’ai encouragé pour l’avenir. Nous avons récité ensemble quelques courtes prières et je l’ai congédié très réconforté, après lui avoir dit de commencer et de finir sa journée par une courte prière pour demander à Dieu de l’aider… Ce sont là comme des éclairs d’une lumière bénie qui montrent en plein jour pour quelques secondes le travail fécond de la vérité dans les âmes. Le voile qui cache les secrets de la vie intérieure tombe un instant et nous voyons que nos efforts et notre lutte pour la vérité ne sont pas en vain. Qui le croirait !… un enfant que personne ne soupçonne et qui vient, de son propre gré, trouver le directeur et lui porte le lourd fardeau d’une déloyauté secrète, d’une faute que dans tant d’écoles on tient pour insignifiante ! La glorieuse récompense ! C’est bien là l’impression que j’ai désiré faire pénétrer chez les enfans : un homme tout prêt à leur venir en aide, revêtu d’une autorité qu’il est souvent tenu d’exercer rigoureusement et cependant tout à fait bon en face de leurs troubles de conscience et de leur bonne volonté.


Il résumait aussi sur ce cahier les visites que lui rendaient les anciens d’Uppingham et ces notes seraient fort utiles à plusieurs d’entre nous qui se font sur l’âme anglaise de si étroites et fausses idées.


2 juillet 1882. — Éclair splendide de joie spirituelle ! X… est venu. Il avait quitté la maison très soupçonné par moi et inpliqué dans quelque mauvaise aventure. C’est maintenant un clergyman. Il venait me dire que, vingt fois depuis, il m’avait écrit, mais qu’il avait toujours déchiré ses lettres, et que maintenant, en face de moi, il n’avait plus de paroles. Je lui répondis qu’il n’avait pas besoin de parler et que rien qu’à son visage, on voyait bien qu’il s’était élevé à de plus hautes pensées. Nous causâmes, et ce fut très réconfortant pour lui et pour moi. Quand il se leva pour partir, il se tint devant moi, des larmes dans les yeux, et me dit qu’il me devait à moi sa vie, tout ce qu’il était, tout ce qu’il espérait devenir encore. Franchement, ce n’est pas trop de ma vie pour mériter de recevoir une seule fois un pareil témoignage. Dieu en soit béni !


De ces quelques citations se dégagent déjà, semble-t-il, plusieurs traits de cette physionomie originale. Du pédagogue, du professeur nous ne savons rien encore : c’est tout au plus si la pauvreté, la monotonie, l’outrance ordinaire du style, nous laissent deviner l’absence des délicatesses littéraires qui font le lettré, mais la belle ferveur, la bonté, la candeur, l’élévation habituelle du caractère nous sont déjà évidentes ; déjà nous entrevoyons que ce convaincu doit avoir un don de persuasion extraordinaire et le secret d’inspirer aux jeunes gens des inquiétudes morales peu familières à leur âge et une sorte d’austère passion du devoir.