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sur leur terre. Thring avait pris à leurs yeux une figure de héros, et ils eurent vite connu, à plusieurs signes non équivoques la forte empreinte morale qui distinguait ses élèves des autres enfans.

Un an après, Thring « tournait cette grande page de sa vie » et ramenait ses élèves à Uppingham. Mais le souvenir de Borth était imprimé pour toujours dans l’imagination du collège. On suspendit aux voûtes de la chapelle, comme trophées de cette grande expédition, les drapeaux qu’on hissait comme signaux sur les maisons de Borth, pour ramener en classe les enfans qui jouaient au loin sur la plage et pour remplacer les cloches dont le bruit des vagues aurait étouffé la voix.

Enfin on institua un service annuel de reconnaissance qui devait rappeler aux générations futures de maîtres et d’élèves les miséricordes de Dieu sur Uppingham.


Il y eut un jour, — disait Thring à un des sermons qu’il prononçait chaque année pour fêter ce glorieux anniversaire, — il y eut un jour où regardant ces hautes murailles, nous nous demandâmes si jamais nous reviendrions prier ici. Nous étions obligés de fuir et, à la face du monde, c’était, pour l’école, une crise de vie ou de mort. Peu, très peu savent ce que c’est de voir chaque jour se rapprocher davantage cette poussée énorme, mortelle, irrésistible d’une invisible catastrophe, et de regarder en face la force du mal victorieux. Il y eut un jour où ce collège agonisa. Sauf une suprême chance, toute la vie accumulée ici allait se perdre, et la bonne cause, la cause du Christ, notre beau programme de donner également, sans favoriser ni mépriser personne, à chaque enfant sa part de justice et d’affection, tout cela allait être vaincu sur ces collines. Et vous savez que tout cela a fini par la délivrance. Triomphe ! Nous sommes encore ici en ce jour ! Mais la grande délivrance fut pour David un nouveau motif de croire. Le Christ rédempteur a sauvé cette école, il l’a gardée à Borth pendant l’année terrible, comme il avait gardé David. Comme lui donc, nous soldats de l’armée du Dieu vivant, sauvés par un miracle unique dans l’histoire des collèges, nous sommes obligés à plus de fidélité et de loyauté que personne. Chapelle et classes, forteresse de la piété et forteresse du travail sanctifié, maisons jumelles qui se soutiennent l’une l’autre et qui vivent de la vérité de Dieu, nous resterons debout.


V

C’est un des côtés humilians de notre nature que nos sympathies ne marchent pas nécessairement de pair avec nos plus sincères admirations. Plusieurs, je le crains, après avoir parcouru les pages où je me suis attardé à mettre en relief les beaux côtés