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le mir, connaît la propriété individuelle, tout chef de famille y étant propriétaire de sa maison et de son jardin.

Ce sont les circonstances objectives qui font prédominer tel ou tel principe. Prenons, dans la France des premiers siècles, l’Anjou ou la Provence ensoleillée, ou dans la Suisse moderne, certains cantons agricoles ; il s’y manifeste une tendance à la petite culture égalitaire, non pas qu’il y ait là un système démocratique ou communautaire imposé par le législateur pour obtenir l’égalité, mais parce qu’il y existe un état social réunissant les conditions favorables à la petite culture égalitaire : c’est-à-dire une vie patriarcale et simple ; un climat doux, la variété et l’abondance des productions, la facilité de récolter et de garantir à chacun sa subsistance ; ou bien encore l’énergie du caractère, la frugalité des habitudes, la placidité des désirs.

Prenons au contraire à partir du VIe siècle, sur certains plateaux du centre et du midi de la France, les régions incultes et boisées dont le défrichement rencontrait des difficultés et exigeait beaucoup d’hommes et de moyens d’exécution. La grande culture s’imposait, les grands propriétaires ont été indispensables ; et là où les cultivateurs parcellaires eussent été impuissans, les Gallo-Romains avec leurs esclaves, les Visigoths avec leurs soldats, les Bénédictins avec leurs moines, les seigneurs avec leurs métayers ont transformé et fécondé le sol de la France[1].

De nos jours, nous assistons, et surtout dans nos régions, à une crise de la petite propriété paysanne : sous l’action du Code civil qui décime les parcelles et les rend insuffisantes pour vivre, de la fascination exercée par l’industrie qui dépeuple les campagnes, des assauts des produits étrangers qui rendent la lutte difficile et onéreuse, il y a un progrès de la grande propriété capitaliste, un recul de la petite culture personnelle. Mais celle-ci qui, pour résister, fait des efforts, ne disparaît pas. Domaines de l’État, des communes, des associations, des individus, grandes exploitations et lopins de terre, coopératives et syndicats agricoles, toi est le spectacle que nous offre l’agriculture ; celle-ci ne révèle pas, plus que les autres branches de l’activité, une tendance vers un mode unique de production contrôlé par l’autorité. Et ici comme partout, les prophéties marxistes sont démenties par les faits.

  1. Demolins, les Français d’aujourd’hui. Paris, Didot, p. 265 et s.