Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 11.djvu/447

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

régime le plus individualiste, s’inspirant le plus nettement de l’optimisme cartésien et exaltant avec le plus de passion l’individu, on ne saurait se passer de l’Etat, seulement on le combat et l’on cherche à réduire son action ; dans le régime le plus socialiste et s’inspirant le plus profondément du concept hégélien, exaltant avec le plus de passion la société, on ne peut se passer de l’individu, mais on reconnaît à la société des droits antérieurs et supérieurs à ceux de la personne et on cherche à diminuer le rôle de celle-ci.

Aujourd’hui, après tant d’expériences pratiques et tant de discussions théoriques, il est possible de montrer la vanité de ce conflit ; il apparaît clairement que l’Etat et l’individu sont non des rivaux et des ennemis, mais des collaborateurs et des auxiliaires, et que la force de l’un fait la force de l’autre.

Regardons autour de nous : le progrès de la civilisation, l’extension du territoire, de la population et des échanges, tout a contribué à provoquer l’accroissement des fonctions de l’Etat. Mais tout cela a dû nécessairement provoquer en même temps un développement parallèle des attributions de l’individu ; car des buts nouveaux offerts à l’activité des sociétés exigent des citoyens capables de les accomplir et dès lors l’enrichissement du mécanisme gouvernemental ne peut signifier qu’une mise en valeur plus étendue de la personnalité humaine.

Une évolution régulière aboutit inévitablement à un tel résultat ; le perfectionnement des services publics n’est pas une cause, il est un effet ; il reflète l’intensité des efforts de tous comme l’outillage rudimentaire de la communauté primitive reflète la simplicité de l’état social. Or, le développement de l’activité sociale n’étant pas autre chose que le développement des activités individuelles, la simultanéité du développement de l’État et de l’individu est par excellence un fait naturel.

La multiplication des besoins et des rapports sociaux crée entre les hommes des liens trop entremêlés pour être abandonnés au hasard.

Il faut de l’ordre, de la méthode, de la régularité ; on ne se contente plus d’un gouvernement réduit à un minimum d’intervention et de dépense ; on ne peut plus, comme on le fait pour les organismes rudimentaires, confier les services publics à des citoyens capables de se charger indistinctement de toutes les fonctions. La législation, la justice, les cultes, l’administration,