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pratique et sensé. Cette société aussi philosophait quand elle répétait ces belles pensées qui font notre admiration. Il lui plaisait de les emprunter aux sages de la Grèce, qui les avaient exprimées pour la première fois ; c’était un ornement pour les discours, et la preuve d’une éducation libérale. Mais elles restaient à la surface ; le monde, qui s’en faisait si volontiers une parure, ne s’en était pas pénétré. Il fallait une prédication plus efficace, une révolution plus profonde, pour que la sagesse grecque acquît cette force qui fait passer de la parole à l’acte. Cependant il n’était pas inutile qu’on s’habituât à en entendre les préceptes, et qu’en les répétant, on se préparât à les comprendre et à les pratiquer. « Sur ce terrain, a dit Havet, le christianisme bâtira. » N’allons pas plus loin. Le christianisme a trouvé le terrain prêt, mais c’est lui qui a bâti l’édifice.


VII

Ce qui est hors de contestation, et si connu de tout le monde qu’il n’est pas nécessaire d’y insister, c’est l’influence des écoles de déclamation sur les lettres romaines. Elle s’est étendue à tout ce qu’on appelait l’éloquence, c’est-à-dire à la littérature entière. Presque aucun écrivain n’y a tout à fait échappé, et ils l’ont subie dès le premier jour. Ovide fut l’un des plus brillans élèves des rhéteurs. On avait conservé de lui le souvenir d’une controverse qui dut être célèbre parmi les écoliers de ce temps. Il s’agissait d’un mari et d’une femme, qui s’étaient promis par serment de ne pas se survivre. Le mari, qui voulait savoir si elle tiendrait sa promesse, fit courir le bruit de sa mort ; aussitôt la femme se jeta par la fenêtre. Elle n’en mourut pas ; mais, quand elle fut guérie, comme son père exigeait qu’elle se séparât de ce mari trop curieux, elle refusa obstinément de le quitter. Ovide défendit le mari. Il parla beaucoup de l’amour : c’est un sujet dont il s’est occupé toute sa vie. Il voulut montrer que le jeune homme n’était coupable que d’avoir trop aimé. « Lorsqu’on aime trop, on est incapable de modération, de retenue, de sagesse. Un amour qui sait se régler, qui ne commet pas d’imprudence, de folie, qui veille sur ses paroles et sur ses actions, est un amour de vieillard, senes sic amant. » C’est ainsi qu’à l’école déjà il était ce qu’il a toujours été : Sénèque le fait remarquer ; il en a gardé le pli jusqu’à la fin. Ce n’est pas que d’ordinaire il force la voix, il