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désorganisé et détourné de leur cours les relations traditionnelles entre la Méditerranée et le Soudan, le Sahara est encore parcouru chaque année par des dizaines de milliers d’hommes et des dizaines de milliers de chameaux. A bien des reprises, les explorateurs européens, et parmi eux quelques-uns du plus haut mérite scientifique, l’ont traversé d’un bout à l’autre : notre Caillé, de Tombouctou au Maroc, dès 1828, par un tracé que, plus de cinquante ans après, un Allemand, le docteur Lenz, suivait presque de nouveau en 1880 ; à l’autre extrémité, un peu avant Caillé, l’Anglais Clapperton, en 182i, avec plusieurs compatriotes, gagnait Kouka, la plus grande ville sur le bord du Tchad, de Tripoli, par la route la plus courte et la plus directe, trajet que Monteil refaisait, en sens opposé il y a peu d’années ; en 1850, le plus illustre et le premier par rang de mérite des explorateurs sahariens, Barth, en prenant d’abord le tracé oriental de Tripoli à Mourzouk, obliquait ensuite vers l’ouest et, à partir du 23e degré, traversait le Sahara central en longeant l’Air et arrivait à Zinder, à l’ouest du Tchad ; une quarantaine d’années après, un autre voyageur allemand, de Bary, refaisait en sens inverse à peu près le même trajet ; d’autres voyageurs parcouraient soit le Sahara, soit le Soudan central dans d’autres directions ; Rohlfs, en 1864, de Tripoli, rejoignait la côte atlantique méridionale du Maroc en passant par In-Salah ; Nachtigall, en 1872, explorait la zone qui s’étend de Kouka sur la rive occidentale du Tchad jusqu’au Nil, en passant par el-Abesh, capitale du Ouadaï, et el-Obéid, capitale du Kordofan. En plus de ces traversées d’outre en outre, soit du Sahara, soit du Soudan central, on peut dire que toute une nuée d’explorateurs a poussé des pointes hardies dans diverses contrées de la région saharienne, Duveyrier notamment et nombre d’autres voyageurs français. Or, si quelques-uns de ces hommes entreprenans sont morts assassinés, comme Flatters et le lieutenant Palat, on n’a pas entendu dire qu’un seul ait été englouti par le sable ou soit mort de la soif ou de la faim ou de maladies dues au climat.

La crainte superstitieuse du Sahara ne paraît donc reposer sur aucun fait positif ; dans cette immense région, la nature, sinon les hommes, se montre moins redoutable que la légende ne le fait croire. Aussi bien, l’image que le mot de Sahara suscite dans la généralité des esprits correspond-elle très peu à la réalité. Nous l’avons déjà démontré dans un précédent article, où nous