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projet fut rejeté. Mais, du moins, l’insistance patriotique de l’amiral obtint l’exécution de quelques travaux préparatoires : il fut décidé que l’ancien port serait approfondi à 3 mètres, protégé contre les ensablemens par une jetée et pourvu d’une station de torpilleurs. L’entreprise de ces premiers travaux fut confiée à un ingénieur qui, depuis 1883, sollicitait la concession d’un port de commerce et en étudiait la réalisation, M. Abel Couvreux, dont le nom est, avec celui de l’amiral Aube, inséparable des premiers progrès de Bizerte.

Avant de songer à faire de Bizerte un port militaire, il fallait d’abord en faire un port, creuser un canal qui mettrait en relations directes la pleine mer avec le grand lac. Un décret beylical, du 18 février 1890, approuva la concession de la construction et de l’exploitation du nouveau port à la Compagnie du port de Bizerte, fondée et administrée par MM. Hersent et Couvreux. Immédiatement, les travaux commencèrent ; le canal fut ébauché, et bientôt, sur les déblais enlevés dans la tranchée, les premières constructions de la future Bizerte s’élevèrent ; le 23 mai 1891, M. Massicault posait solennellement la première pierre de la ville nouvelle.

Ce fut une heure solennelle, dont ceux qui en furent témoins se souviennent avec émotion, que cette matinée du 4 juin 1895, où le croiseur-cuirassé le Suchet, portant le pavillon du vice-amiral de La Jaille, et le Wattignies, glissant lentement entre les deux berges du canal, tendirent, pour la première fois, les eaux de l’avant-lac. L’année suivante, l’amiral Gervais venait mouiller dans le lac avec deux grands cuirassés, le Brennus et le Redoutable. — De ce jour, notre flotte possédait, sur la côte africaine, un admirable refuge ; mais, si elle y pouvait trouver un asile contre la tempête, elle n’y était pas à l’abri des poursuites d’un ennemi. Sans forts et presque sans garnison, Bizerte n’avait encore aucune valeur offensive, ni même défensive.

Le traité de Kassar-Saïd, du 12 mai 1881, s’il établissait le protectorat de la France sur la Régence de Tunis, ne créait, ni en fait ni en droit, une situation équivalente à une annexion pure et simple. L’article 4 disait : « Le gouvernement de la République française se porte garant de l’exécution des traités actuellement existans entre le gouvernement de la Régence et les diverses puissances européennes. » Ces traités étaient des « capitulations » analogues à toutes celles que les nations chrétiennes avaient