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veut dire, avant tout, que nous ne connaissons rien qui ne soit engagé dans un système de « relations, » et rien par conséquent dont le caractère ne soit déterminé pour nous, ou dont la définition ne nous soit donnée par ces relations mêmes, au lieu de l’être par son essence. Rappelons-nous encore à ce propos les paroles de Pascal : « Les parties du monde ont un tel enchaînement l’une avec l’autre que je crois impossible de connaître l’une sans l’autre et sans le tout. » Il précise plus loin sa pensée : « La flamme ne subsiste point sans l’air : donc, pour connaître l’une il faut connaître l’autre. » La théorie moderne de l’unité des forces physiques, ou, dans l’ordre des sciences naturelles, les progrès de l’anatomie et de la physiologie comparées sont de belles « illustrations » de cette liaison, de cette connexité, de cette solidarité et de cette « relativité » de nos connaissances. Nous ne connaissons la chaleur ou la lumière qu’en fonction du mouvement, et nous ne nous formons une idée d’un vertébré que comme « relative » à celle du mollusque ou de l’insecte ; — et réciproquement.

Nous ne savons donc rien de l’absolu, pas même, — pour le moment, — s’il existe ; et la science est hors d’état de nous garantir, sinon peut-être la « réalité » de son objet, mais, en tout cas, la « conformité » d’aucune vérité avec son objet. Les rapports seuls sont certains : toute science, quand on l’approfondit, n’est en somme qu’un système de « rapports, » et ces « rapports, » en un certain sens, ne sont eux-mêmes que des « signes. » Mais ce qu’expriment ces « signes, » nous ne le savons pas plus que nous ne savons ce qu’expriment les caractères d’une langue inconnue. Ils n’ont eux-mêmes d’autre « relation » avec ce qu’ils expriment, et avec nous, que de le représenter dans sa « relation » avec la nature de l’esprit humain. La vérité scientifique en soi n’est donc pas d’un autre ordre que les vérités qu’on l’a vue quelquefois essayer, non seulement de se subordonner, mais d’ « intérioriser. » La connaissance que nous avons des lois de la nature n’a rien de plus « objectif, » ou de plus « absolu, » que celle que nous pouvons acquérir des lois de l’esprit ou de celles de l’histoire. Les entités de la science, de quelque nom qu’on les appelle, — nature, matière, énergie, mouvement, attraction, affinité, principe vital — n’ont pas plus d’être eu soi, de réalité substantielle, de ressemblance ou d’analogie avec leur objet, que celles de la métaphysique : finalité,