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humain. » La rédaction est un peu naïve, mais ce qu’il veut dire est plein de sens. Si les applications qu’il en a faites ne sont plus toutes justes, le principe est demeuré le même, et je crois pouvoir dire que ceux-là seuls ne l’ont pas vu qui ne l’ont pas voulu voir. Quand les disciples se sentent devenus assez forts, ils n’aiment pas que leur maître continue de penser, et si surtout, il pense autrement qu’eux, c’est lui qu’ils accusent de ne plus se comprendre !

Ne terminons donc pas avant d’avoir indiqué un autre et dernier avantage de la méthode positiviste, bien comprise, et suivie jusqu’au bout de sa course, lequel est de laisser, tout le long de sa route, des questions ouvertes, parce qu’en effet, elle contient en elle tout ce qu’il faut pour se corriger ou se redresser. Si la vérité n’est en effet que la « totalisation de l’expérience humaine » l’expression en devient nécessairement relative, successive, progressive, et, de sa relativité bien entendue dérive, pour ainsi dire, la loi même de son progrès. Le propre de la science est de n’être jamais achevée. Nous sommes riches des acquisitions de ceux qui nous ont précédés, mais nous ajoutons toujours quelque chose à ce qu’ils nous ont légué, et ceux qui nous suivront ne partiront donc pas à leur tour du même point de départ que nous. Il y aura pour eux, relativement à nous, quelque chose de changé dans ce que nous appelons la totalisation de l’expérience humaine. L’originalité continue du développement intellectuel, en affectant tour à tour, et en modifiant tel ou tel élément du calcul, modifiera l’addition. Si nous nous sommes trompés, une observation plus attentive, une expérience plus étendue corrigeront tôt ou tard notre erreur. Et la métaphysique cessant ainsi d’être un « système fermé, » c’est alors qu’elle deviendra vraiment digne de son nom, et de son rôle, qui est de nous conduire par les voies normales de l’intelligence humaine du connu à l’inconnu et de l’inconnu à l’inconnaissable. Le positivisme a posé les conditions ou les fondemens d’une telle métaphysique, et ce n’est pas Kant, en vérité, mais plutôt Comte, qui, en rédigeant les leçons de son Cours de philosophie positive, a écrit les Prolégomènes de toute métaphysique future.


FERDINAND BRUNETIERE.