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qu’il les répéterait où et quand on voudrait. À Creuznach, où il arriva cette année vers la fin du carême, il se glorifiait d’être le plus grand alchimiste qui eût jamais vécu, se faisant fort de connaître et d’accomplir les souhaits de chacun. Franz de Sickingen, qui aimait les sciences occultes, lui confia la direction d’une école ; mais il abusa des jeunes gens qui lui étaient confiés, et se sauva pour éviter le châtiment qui l’attendait. Voilà ce que je puis affirmer avec certitude de cet homme. »

Le témoignage de Tritheim est formel. Il n’a pas vu Faust, mais il s’est trouvé en contact presque immédiat avec lui, et il aurait pu le confondre, si Faust ne s’était dérobé devant lui. Mais d’autres l’ont vu. Le chanoine Conrad Mudt, ou Mutianus Rufus, de Gotha, un des meilleurs humanistes du siècle, écrit, à la date du 3 octobre 1513 : « Il est venu à Erfurt, il y a une huitaine de jours, un chiromancien nommé George Faust, grand hâbleur et impertinent bavard. Le peuple admire ces gens. Je l’ai entendu débiter ses sottises dans l’hôtellerie, sans daigner lui rabattre le caquet : que m’importent les insanités des autres ? » Un médecin de Worms, Philippe Begardi, auteur d’un livre sur l’hygiène[1], a connu des gens qui ont été les dupes de Faust. Un ecclésiastique de Bâle, Jean Gast, a dîné avec lui en docte compagnie, et il raconte que Faust remit au cuisinier, pour les apprêter, des oiseaux rares, comme on ne les voyait pas dans cette région et comme on ne pouvait se les procurer à aucun prix ; il était aussi accompagné d’un chien et d’un cheval, « probablement des démons déguisés » ; le chien prenait même quelquefois, à ce qu’on disait, la forme d’un valet qui le servait à table[2].

Ici s’arrête la série des témoignages directs, ou du moins très rapprochés. Ensuite les récits deviennent de plus en plus merveilleux. Vers la fin du siècle, un théologien, nommé Augustin Lercheimer, écrit un livre[3] pour prémunir les âmes chrétiennes contre les dangers de la magie, encore plus pernicieuse, dit-il, pour ses adeptes que pour ses victimes, puisqu’elle les prive du salut éternel ; et, entre autres exemples qu’il cite, il raconte comment Faust, ayant un jour dîné avec ses compagnons dans un village de la Bavière, les transporta, à soixante lieues de là, dans les caves de l’évêque de Salzbourg, et com-

  1. Zeyger der Gesundheit, Worms. 1539.
  2. Sermones convivales, Bâle, 1554.
  3. Christlich bedenken und erinnerung von Zauberey, Heidelberg, 1585.