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populaire ; il a reçu l’empreinte de deux révolutions, l’une religieuse, l’autre philosophique et littéraire, pendant lesquelles s’est constitué le génie de la nation ; Gœthe a eu deux collaborateurs, l’esprit de la Réforme et celui de la période Sturm-und-Drang.

L’esprit de la Réforme anime toute la vieille légende. La première édition imprimée sortit des presses de Jean Spies à Francfort-sur-le-Mein, en 1587. L’imprimeur disait avoir reçu le manuscrit d’un de ses amis habitant Spire. L’histoire, ajoutait-il, que tout le monde demandait à connaître, était puisée en grande partie dans les propres écrits de Faust ; elle était donnée en avertissement à tous ceux qui pourraient se laisser tenter par une curiosité présomptueuse et impie. Faust, d’après le livre de Spies, est né à Roda, près de Weimar ; il est le fils de paysans pauvres et craignant Dieu, qui l’envoient à Wittemberg, auprès d’un oncle riche et sans enfans, pour étudier la théologie ; car « il montrait déjà une grande vivacité d’esprit et une grande envie de savoir. » Faust est reçu docteur. Mais bientôt « il met les Saintes Écritures sous le banc », et il se rend à l’université catholique de Cracovie, où l’on enseignait la magie. Il étudie jour et nuit les livres chaldéens, grecs et arabes. Dès lors, il ne veut plus être appelé théologien, mais docteur en médecine, mathématicien et astrologue. Il a auprès de lui « un mauvais garçon », Christophe Wagner, qu’il appelle son fils, et qui devient son famulus. Enfin, il conclut avec le diable son fameux pacte, le fait central de la légende. La conjuration a lieu dans une forêt, près de Wittemberg. Le diable refuse d’abord d’entrer dans le cercle tracé par Faust ; enfin, cédant à une évocation plus puissante, il apparaît sous la figure d’un moine. Avant d’arrêter les clauses du contrat, il faut qu’il obtienne l’autorisation de Lucifer, le prince de l’enfer ; car lui-même, Méphistophélès, n’est qu’un démon subalterne. Le pacte signé, Faust est irrémédiablement perdu. Plus tard, à l’approche du châtiment, il sera saisi d’effroi ; il demandera l’assistance d’un homme pieux, médecin comme lui, mais qui a gardé sa foi et qui a continué de s’édifier dans les Écritures. Mais ce sera en vain, car la grâce divine se sera éloignée de lui, et nul homme sur la terre n’a le pouvoir de remettre les péchés d’un autre homme[1]. Pour le moment, Faust est aveuglé par son

  1. Theophilus, dont la légende a été mise en drame par Rutebeuf, conclut