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perce à travers les extravagances du récit. Mahomet couvert du manteau papal, Faust se jugeant digne de siéger au Vatican, montrent ce qu’était à ses yeux le catholicisme : une idolâtrie déguisée, une institution de Satan. Quant à Charles-Quint, l’ennemi du luthéranisme, mais le chef de l’Empire, il est traité avec un mélange de respect et d’ironie. Il peut bien se considérer comme un émule d’Alexandre, mais il approuve la magie noire puisqu’il la consulte, et Faust ne le quitte que comblé de présens.

À côté de l’influence luthérienne, une autre influence, moins marquée cependant, se rencontre dans quelques épisodes : c’est celle de la Renaissance. Le dernier lien par lequel Méphisto enlace Faust et le reprend, lorsqu’un tardif repentir menace de le lui arracher, c’est l’attrait de la beauté, non point, il est vrai, comme un objet de contemplation, mais comme une excitation à la volupté. À la fin d’un souper, Faust fait apparaître devant un groupe d’étudians « la belle figure de la reine Hélène, vêtue d’un précieux manteau de pourpre, la taille élancée, ses cheveux d’or tombant jusqu’à ses genoux ; elle avait des joues roses, la bouche petite, des lèvres rouges comme des cerises, et un cou blanc comme celui d’un cygne ; aucun défaut n’était en elle, si ce n’est qu’elle avait l’air hardi et provocant ». L’apparition a lieu le dimanche après Pâques ; c’est comme une résurrection païenne, faisant contraste à la résurrection chrétienne[1]. Pendant la dernière des vingt-quatre années dévolues à Faust, il prend Hélène pour femme ; elle lui donne un fils, et, le jour où il livre son âme à Satan, la mère et le fils s’évanouissent.


III

« Soyez vigilans, car le diable, votre ennemi, rôde alentour comme un lion rugissant, cherchant sa proie ; résistez-lui et soyez fermes dans la foi » : ces mots qui terminent le récit de Spies, ce conseil biblique indique l’esprit de toute la vieille littérature sur Faust. Cette littérature n’a rien de naïf. Le Faust de Spies et de ses successeurs n’est point une de ces figures à la fois

  1. Dans l’édition de 1590, Faust, expliquant Homère à l’université d’Erfurt, évoque les héros de la guerre de Troie : Menélas, Achille, Hector, Priam, Pâris, Ulysse, Ajax, Agamemnon, et d’autres, même le cyclope Polyphème, dont la vue remplit les étudians de terreur.