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l’année où Luther prononce devant la diète de Worms ses paroles célèbres : « Me voici, je ne puis faire autrement ; que Dieu m’assiste ! » Faust commence ses voyages en 1525, l’année du mariage de Luther. Il livre son âme à Lucifer en 1545, quand Luther publie son pamphlet, la Papauté romaine fondée par le diable[1]. Faust ressemble ici à une personnification de la Contre-Réforme.

L’ouvrage de Widman répondait trop à l’esprit du temps pour ne pas jouir d’une longue faveur. Ce qui lassa d’abord la patience du public, ce ne furent pas les dissertations morales, mais les aventures de voyage de Faust et ses conversations plus ou moins savantes avec Méphisto ; elles disparurent en partie dans un nouveau remaniement qui fut fait, dans la seconde moitié du xviie siècle, par un médecin de Nuremberg, Jean-Nicolas Pfitzer. Mais « la Vie scandaleuse et la Fin terrible du fameux magicien Jean Faust, montrée en exemple au méchant monde », qui parut en 1674, comptait encore plus de six cents pages. Toute l’histoire fut enfin réduite, « pour l’agrément du lecteur », en un mince volume, dont la première édition est de 1728, et qui était encore très répandu au temps de la jeunesse de Gœthe. L’auteur anonyme, sans trop prêcher, protestait seulement « de ses intentions chrétiennes et de ses vœux charitables pour la conversion des pécheurs »[2].


IV

La légende, d’une rédaction à l’autre, s’allongeait, se raccourcissait, mais, au fond, ne changeait pas ; elle restait dogmatique, sermonneuse, un instrument de polémique et de propagande. Pour qu’elle se pénétrât d’un esprit nouveau, il fallut qu’elle passât de la main des théologiens dans celle des poètes. Mais ce n’est pas dans l’Allemagne de ce temps qu’elle pouvait se transformer. L’Allemagne resta théologique jusqu’au milieu du xviie siècle ; la constitution de sa foi religieuse demeura sa grande affaire, tandis qu’en Angleterre, dans cet autre pays de vieille souche germanique, une vraie renaissance littéraire côtoya et même pendant quelque temps domina la Réforme. En

  1. C’est Kuno Fischer qui a d’abord établi ce parallélisme (ouvrage cité).
  2. Zu einer herzlichen Vermahnung und Warnung, von einem Christlich Meynenden.