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l’enseignement qu’il y a reçu, un enseignement scolastique, réduit en formules et en paragraphes, selon la méthode de Wolff[1]. L’impression qu’il en a gardée doit être assez exactement définie dans les Mémoires, puisqu’elle se retrouve dans sa correspondance. Il rentre à la maison paternelle, découragé et malade, et, pendant l’hiver suivant, moins pour s’instruire, dit-il, que pour se distraire, il s’occupe de magie et d’astrologie. Il assure même qu’un médecin alchimiste lui rendit la santé au moyen d’un spécifique dont il avait le secret. À la fin de mars 1770, il va terminer ses études à Strasbourg. Il y rencontre Herder, génie encore plus précoce que lui, d’un goût mûri par la science, mais qui ne fait, en somme, que le confirmer dans la direction que son esprit avait déjà commencé à prendre. Herder lui enseigne que l’essence de la poésie est ce qui est populaire dans le sens le plus large et le plus profond du mot, c’est-à-dire naturel, caractéristique, original. Il lui fait connaître les monumens vrais ou supposés des littératures primitives, la Bible, Homère, Ossian. En même temps, Gœthe se passionne pour l’architecture gothique. Enfin il découvre Shakespeare. « La première page que je lus de lui, dit-il, me fit sien pour la vie ; je fus comme un aveugle-né à qui une main magique vient de rendre la vue ; je sentis mon existence élargie à l’infini. » Son lyrisme aussi prend de la chaleur et de la vie, sous le coup de la première passion profonde qu’il ait éprouvée ; il compose les Chansons de Sesenheim, et il a raison de dire « qu’on les reconnaît aisément parmi les autres ». Au milieu de toutes ces influences, les sujets « qui avaient pris racine en lui » se développent et se constituent peu à peu. « C’étaient Gœtz de Berlichingen et Faust. La biographie du premier m’avait ému jusqu’au fond de l’âme. Ce rude et généreux représentant de la défense personnelle dans un temps d’anarchie sauvage excitait ma plus vive sympathie. La remarquable pièce de marionnettes dont l’autre était le héros résonnait et bourdonnait dans ma tête sur tous les tons. Moi aussi, je m’étais poussé à travers toutes les sciences, et j’en avais reconnu de bonne heure la vanité. J’avais pris la vie par tous les côtés, et j’étais toujours revenu de mes tentatives plus mécontent et plus tourmenté. Ces choses et beau-

  1. « Soyez dans la salle de cours au premier coup de cloche, dit Méphistophélès à l’Écolier. Ayez bien étudié d’abord vos paragraphes, afin de mieux voir ensuite que le maître ne dit rien qui ne soit dans le livre. » (Faust, première partie.)