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ma conscience. » Dans la poésie de Gœthe, les élémens sont toujours empruntés à la réalité, mais les combinaisons sont diverses. L’image de la femme malheureuse par la faute de l’homme qu’elle aime traverse tous les écrits de la jeunesse de Gœthe et toute la littérature de ce temps. Elle se retrouve dans Gœtz de Berlichingen, dans Clavigo, dans Stella. Il est question, dans Werther, d’une jeune fille dont le sort est en tout pareil à celui de Marguerite : « C’était une bonne créature, qui avait grandi dans le cercle étroit des occupations domestiques, qui vaquait toute la semaine à son travail accoutumé, et le seul plaisir qu’elle avait en perspective était d’aller, le dimanche, se promener avec ses pareilles, parée de quelques atours qu’elle avait assemblés peu à peu… La nature lui fait éprouver enfin des besoins plus profonds, qui sont encore attisés par les flatteries des hommes. Elle rencontre un homme vers lequel un sentiment inconnu l’attire avec une force irrésistible… Il l’abandonne. Immobile, éperdue, la voilà devant un abîme. Elle se précipite, pour étouffer ses angoisses, dans une mort où tout s’engloutit. »

Le caractère de Marguerite, quoiqu’il ait été formé d’élémens divers, est d’une parfaite unité ; le personnage a été coulé d’abord d’un seul jet. Il n’en est pas de même de Méphistophélès. Est-ce un esprit élémentaire, de même famille que l’Esprit de la terre, un lutin malicieux et taquin, mais au fond serviable ? Ou est-ce un vrai démon, un émissaire de l’enfer, uniquement occupé de faire le mal ? Il est l’un et l’autre, et alternativement. Nous ne parlons qu’au point de vue du Faust primitif. Dans le plan de ce poème, Méphistophélès était d’abord un compagnon que l’Esprit de la terre donnait à Faust pour le guider dans son voyage à travers le monde, pour l’aider à « amasser sur sa poitrine toutes les joies et toutes les douleurs de la vie ». Mais Gœthe n’a pu se soustraire aux souvenirs persistans de la légende, et le compagnon serviable redevenait par momens un esprit de séduction et de malfaisance. Au reste, les deux côtés du rôle de Méphistophélès ne sont pas absolument inconciliables. Dans un fragment qui fait partie de l’édition de 1790, et qui est encore conçu dans l’esprit du plan primitif, Méphistophélès dit, en parlant de Faust : « Lors même qu’il ne se serait pas donné au diable, il périrait encore. » Et, dans une des dernières scènes, quand Faust lui reproche la ruine de toutes ses espérances, Méphistophélès répond : « Pourquoi lies-tu commerce avec nous, quand tu ne