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redevint familier. Mais il lui arriva ce qui était arrivé autrefois à Lessing. Ce grand critique avait déjà été frappé de ce que la légende de Faust contenait de poésie, et il avait longtemps pensé à la remettre au théâtre ; mais peu à peu le sujet s’était transformé dans son esprit, et, à la fin, le seul péché de Faust était « sa soif de connaître », péché pardonnable assurément, et qui, en tout cas, ne méritait pas la damnation éternelle. Du jour où Gœthe, cédant aux instances réitérées de Schiller, songe sérieusement à reprendre le Faust, ce qui le préoccupe surtout, c’est ce qu’il appelle l’idée du poème : ce mot revient constamment dans la correspondance des deux amis. « Je me suis décidé, écrit Gœthe le 22 juin 1797, à travailler à mon Faust ; je veux sinon le terminer, du moins l’avancer pour une bonne part. Je sépare ce qui est imprimé, et je le dispose par grandes masses, en y intercalant ce qui est écrit ou imaginé, et je prépare et avance ainsi l’exécution du plan, qui, à vrai dire, n’est qu’une idée. » En même temps, il engage Schiller à lui dire de quelle manière il se représente le poème dans son ensemble, « à lui expliquer ses propres songes, comme un vrai prophète ». Schiller promet « de chercher le fil », et, s’il ne réussit pas à le trouver, il s’imaginera qu’il a devant lui une série de fragmens qu’il vient de découvrir et qu’il est chargé de compléter. « Au reste, ajoute-t-il, l’ouvrage, quelque grande que soit sa valeur poétique, devra toujours avoir une certaine portée symbolique, ce qui est probablement aussi votre idée. » Et ailleurs : « Ce qu’on cherchera dans le Faust, ce sera tout à la fois de la philosophie et de la poésie, et, vous aurez beau faire, le sujet est tel que vous ne pourrez que le traiter philosophiquement, et que votre imagination sera forcée de se mettre au service d’une idée de la raison. » Schiller venait d’étudier à fond le système de Kant. Il faudrait connaître les entretiens que les deux poètes eurent ensemble pour juger jusqu’à quel point l’influence de Schiller fut déterminante sur le renouvellement du sujet de Faust ; mais le vif intérêt qu’il témoignait pour l’œuvre de son ami a déjà, pour ainsi dire, l’importance d’un fait littéraire. Schiller représente, à ce moment, en sa propre personne, le lien entre la jeunesse et l’âge mûr de Gœthe.

Au reste, quand Schiller et Gœthe parlent de l’idée de Faust, il ne faudrait pas prendre ce mot dans un sens trop étroit. Il ne s’agit pas d’une idée abstraite à traduire sous une forme sensible,