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commerce, sans navigation, sans colonies, sujets au caprice de nos ennemis, c’est vivre comme des Français ne doivent pas vivre. » Et c’est cependant ainsi que la France dut vivre pendant tout le reste de son règne par la volonté du seul ennemi qu’il ne put vaincre… De la part des alliés, Trafalgar fut, en soi, un holocauste inutile, déterminé par le désespoir de l’amiral infortuné, sur l’irrésolution duquel Napoléon fit tomber très justement la colère que lui inspira la ruine de ses plans[1]. Villeneuve eut une perception très claire et très juste des difficultés de son commandement et des chances contraires accumulées contre lui. Où il commit une faute lamentable, ce fut en méconnaissant le devoir simple de l’obéissance, l’obligation de persister à tout hasard dans la partie qui lui incombait du grand plan à exécuter, cette ligne de conduite eût-elle abouti à la destruction complète de sa flotte. Il eût fallu, lorsqu’il quitta le Ferrol, qu’il éprouvât, même partiellement ce sentiment de désespoir qui le poussa à Trafalgar. Il est possible, je ne dis pas probable, que l’invasion de l’Angleterre eût alors réussi. »

À partir du jour où Napoléon eut résolu d’écraser l’Angleterre en l’excluant du commerce du continent, l’histoire de l’influence du Sea Power sur ce grand conflit cesse, dit Mahan, de suivre les événemens strictement maritimes, et n’a plus pour sujet que la destruction du commerce, qui d’ordinaire est une opération secondaire de guerre maritime, mais qui fut adoptée dans les dernières années du règne de Napoléon comme le principal, sinon l’unique moyen d’action. L’auteur étudie la série des mesures par lesquelles la France chercha à ruiner le commerce anglais ; il analyse la politique des décrets de Berlin et de Milan sur lesquels fut édifié le système du blocus continental. Il suit une par une les étapes qui portèrent l’Empereur de violence en violence et montre comment cette politique eut pour conséquence nécessaire l’expédition de Russie, suivie de la chute de l’empire. « Ainsi détachés, autant qu’il est possible,

  1. Lorsque Napoléon apprit que Villeneuve avait fait voile vers le Sud au lieu de tomber sur Calder, il abandonna le plan d’invasion de la Grande-Bretagne et donna immédiatement des ordres pour la campagne contre l’Autriche. En fait, l’Angleterre fut sauvée avant que la bataille de Trafalgar ne fût livrée. Pour Mahan, Napoléon avait même déjà perdu la partie stratégique lorsque Nelson, ayant suivi, puis gagné de vitesse Villeneuve à son retour des Antilles, remit ses vaisseaux à Cornwallis et regagna lui-même l’Angleterre. À partir de ce moment, Napoléon était déçu ; Trafalgar n’était pas nécessaire. Ce point pourrait être discuté.