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la Corse, avec Toulon, nous pouvons tenir la porte ouverte entre les deux moitiés de la Méditerranée, malgré Malte et Gibraltar. Certes, ce n’est pas moi qui désirerais un conflit entre peuples, pas plus contre l’Angleterre que contre l’Italie ; mais, comme nous ne savons pas ce que les autres feront de leur côté, il est de mon devoir de préparer la guerre sainte pour la patrie française contre ses ennemis, quels qu’ils soient. » Après le tour de l’Italie, voilà celui de l’Angleterre. Nous espérions du moins que M. Pelletan se contenterait de parler des puissances qu’il avait rencontrées sur son chemin dans la Méditerranée. C’était déjà beaucoup, et même trop ; mais enfin il y avait une limite. M. Peiletan l’a franchie. Après avoir exprimé la confiance qu’avec des collaborateurs comme ceux qui l’entouraient, rien ne saurait l’inquiéter dans l’avenir, quelque sombre qu’il fût : « La sécurité, a-t-il déclaré, n’existe plus guère dans le monde civilisé. A la fin du XIXe siècle, après la défaite de la France par la barbarie de la vieille Germanie, on vit le retour offensif du droit brutal. Le monde entier paraît dominé par la maxime : « La force prime le droit. » Nous devons donc consacrer tous nos efforts à maintenir intact le foyer de justice et de lumière qu’est le génie français. » Après le tour de l’Angleterre, voilà celui de l’Allemagne, dont M. Pelletan relève la « barbarie. » Il y aurait ici beaucoup de choses à dire, et quelques-unes seraient pénibles : pourquoi M. Pelletan touche-t-il sans nécessité des souvenirs douloureux ? Nous ne l’imiterons pas, et nous nous contenterons de faire remarquer combien toutes ces allégations, tantôt menaçantes pour les autres et tantôt offensantes, sont déplacées dans la bouche d’un membre du gouvernement. On a dit que M. Pelletan n’avait pas encore l’habitude d’être ministre, et nous ne savons pas si on lui laissera le temps de la prendre, car il lui en faudrait beaucoup. Un tel défaut de tact ressemble à un vice rédhibitoire ; on n’en guérit jamais.

Ses discours, — nous l’avons constaté avec un mélange de satisfaction et de tristesse, — n’ont produit aucun effet en Europe. On ne les y a pris, ni au tragique, ni au sérieux, ce qui est mortifiant pour leur auteur, et même, hélas ! pour nous qui, bon gré mal gré, sommes un peu responsables de nos ministres. On a dit qu’un peuple n’avait que le gouvernement qu’il mérite : si le mot est vrai, il nous paraît bien dur en ce moment. La France s’est longtemps fait remarquer et apprécier par des qualités qu’on peut appeler sociables. Elle était de bonne société. Elle avait le secret de formes obligeantes et du mot juste, précis, ferme quand il le fallait, mais toujours courtois.