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Chinois aient pris le correspondant du Times. Mais ce que je crains c’est le retour. Premièrement, il me paraît difficile d’obtenir le remboursement de nos frais, car il n’y a plus en Chine de gouvernement et par conséquent personne ne paye plus. En second lieu, les Allemands. Cependant le danger est toujours de ce côté. Le socialisme et la révolution mêlés au patriotisme teutonique peuvent pousser les Allemands à bien des bêtises. Les moins belliqueux sont les Autrichiens eux-mêmes qui se refusent à faire de nouveaux sacrifices. Vous avez pu remarquer qu’à chaque défaite les métalliques sont en hausse, parce que ce n’est que d’une défaite qu’on attend la paix. L’Angleterre veut très sincèrement rester neutre, et on commence à se moquer des gens qui parlent d’une invasion franco-russe. Les Russes n’ont pas le sou, pas beaucoup de soldats, mais crient bravo quand les Autrichiens sont battus. Je ne sais ce qu’ils diront ou feront si la Hongrie s’insurge. Cela ferait, je le crains, plus de mal que de bien. Adieu, cher monsieur, j’espère que cette lettre vous trouvera en bonne santé et sur le point de revenir. Je pense être à Paris jusqu’à la fin d’août. Je n’ose m’éloigner des dépêches télégraphiques tant que cette terrible crise durera.


Cannes, 13 décembre 1860.

Cher Monsieur,

Vous avez été bien aimable de m’envoyer votre nouveau volume[1] dans mon désert, et moi bien coupable de ne pas vous en avoir remercié plus tôt. Je ne sais comment la vie se passe dans ce pays-ci. C’est quelque chose comme l’Orient où le kief prend tant de temps qu’on n’a jamais celui décrire. En revanche on lit beaucoup et je vous ai lu avec grand plaisir. Je ne puis vous dire que vous m’avez donné autant d’envie de voyager sur vos traces au Croc à Saint-Pierre, qu’après votre Voyage en Asie[2]. Vous avez tiré de vous-même tout, l’intérêt de votre expédition. Vous m’avez appris une chose, c’est que vous étiez très gai et que vous aviez la bosse de l’observation comique. Après votre grand ouvrage sur les races humaines, et même vos trois ans en Asie, je vous croyais un grand philosophe et un politique. Maintenant vous me paraissez un humouriste charmant. Etes-vous donc ce que dit de Cerbère Mrs Malaprop :

  1. Voyage à Terre-Neuve. Paris, 1861, Hachette.
  2. Trois ans en Asie (1855-1858). Paris, 1859, Hachette.