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catholicisme littéraire dont Fontanes et Chateaubriand venaient de donner le signal n’avait agité que l’ancienne noblesse ou la riche bourgeoisie : quant au peuple, il n’avait rien entendu. Mais, désabusé de tant de mascarades sublimes, d’apothéoses grotesques et d’odieuses panthéonisations, il acceptait, sans révolte, le retour du Dieu qu’avait adoré son enfance. Il refusait toujours d’y croire, mais déjà il n’outrageait plus… Au demeurant, la cérémonie de Notre-Dame était annoncée magnifique. On allait y admirer des uniformes, des carrosses et des livrées, des généraux, des mamelouks et des évêques ; on y verrait surtout ce cher petit Bonaparte… « Vivat donc pour le Concordat, le Pape et les curés ! » Et, dans ce jour de Pâques 1802, Fanchon et Sans-Souci s’éjouissaient, fredonnant un cantique de guinguettes :


Nous supprimons le décadi
Avec sa kyrielle en i ;
Le dimanche l’on fêtera :
Alléluia.


Paris, cependant, s’emplissait de tumulte. Aux allègres cadences des tambours, des fifres, des musiques militaires, les demi-brigades de la garnison sortaient de leurs casernes, pour aller faire la haie sur le passage des Consuls. L’itinéraire que devait suivre le cortège avait été ainsi réglé : la place du Carrousel, la rue Saint-Honoré, les rues du Roule et de la Monnoye, le Pont-Neuf, la Cité. Dès 11 heures, un double cordon de baïonnettes s’allongeait, de la rue Saint-Nicaise au Parvis Notre-Dame. Un pareil déploiement de troupes, encombrant ces étroits boyaux, seule voirie de la capitale en l’an X, étonnait le Parisien. Naguère, au temps de la Convention ou du Directoire, dans les jours de fête nationale, licence était accordée à la badaudaille d’envahir la chaussée et d’y risquer la bousculade. Mais, à présent, avec ce Bonaparte, il fallait de l’ordre partout ! La foule, d’ailleurs, ne se plaignait pas et s’entassait derrière les épaulettes, à chaque instant plus dense, plus excitée, plus remuante. Le soldat, toutefois, se montrait brutal, très méprisant pour le pékin. Ces diverses demi-brigades portaient encore le glorieux uniforme de l’an V et de l’an VII, celui qu’avait illustré le fantassin d’Arcole, de Friedberg ou de Zurich ; l’habit bleu à revers blancs, les hautes guêtres montantes, le bonnet à poil ou le chapeau à cornes, les buffleteries croisées. Mais leurs officiers