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des Asiatiques, soit infiniment moins turc en ce qui concerne la femme que le peuple français par exemple. Les plus sévères ne méprisent dans l’amour illicite que la recherche du bonheur personnel, recherche qui leur paraît basse, comparée au service d’une grande cause, la cause du progrès.

— Sans doute, me dit une jeune femme, nous ne concevons guère que notre vie puisse s’écouler sans amour. Mais ce n’est pas tout, ce n’est même pas le principal. Voyez les hommes : tant de choses pour eux passent avant l’amour ! Et c’est juste. D’abord, aimons l’humanité.

Elle se montrait clémente pour l’union libre, tout irréprochable qu’elle fût personnellement.

Sur beaucoup de points, l’abus des cigarettes compris, le puritanisme américain se trouverait en désaccord complet avec l’idéalisme russe, lequel n’admettrait pas davantage le flirt prétendu innocent, et en général la chasse au mari. En Russie les instincts naturels sont traités avec indulgence et la passion prise au sérieux.

Mais revenons à la question d’égalité. L’envie, la compétition hostile existe beaucoup moins qu’ailleurs entre travailleurs et travailleuses. Les ouvrières de fabrique reçoivent sans doute un salaire plus faible que celui de l’ouvrier, mais les hommes sont si mal payés eux-mêmes que la différence ne pourrait être considérable sous peine de produire zéro. Dans d’autres professions, postes, administrations, banques, le salaire est égal. Les hommes se plaignent un peu sous prétexte que leurs collègues en jupons s’acquittent moins bien qu’eux-mêmes de la besogne et qu’ils ont à les aider, mais ce n’est qu’un murmure inoffensif racheté par beaucoup de complaisance effective, car le tempérament russe est généreux, avec une forte dose d’altruisme qui tient sans doute à d’antiques traditions communistes, la commune, l’association ayant été la base primitive et fondamentale de cette société.

Entre ouvriers et ouvrières, entre employés des deux sexes, entre étudians et étudiantes, une réelle camaraderie existe. Il serait possible sans doute de relever ici ou là des preuves de rivalité comme partout ; mais elles sont relativement rares et en tout cas très adoucies.

Je ne veux d’ailleurs parler, en ce qui concerne les femmes russes, que de ce que j’ai vu et recueilli personnellement, comme