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sortent toutes de l’hospice des enfans trouvés ; après trois ans de ces fonctions obligatoires dans les Instituts, elles se placent ailleurs si bon leur semble. Pierre le Grand ne voulut-il pas que chacun des citoyens de son empire servît l’État de quelque façon ?

Le général me fait visiter en détail les classes, la salle splendide de concert et de danse, les cellules où les musiciennes peuvent étudier leur piano sans se gêner les unes les autres. Il porte à ces enfans un intérêt affectueux et m’avoue en souriant qu’il écrit à leur usage une mythologie où beaucoup d’unions irrégulières sont, pour ne pas troubler de chastes imaginations, transformées en mariages multiples comme ceux des patriarches.

Les huit gymnases de cinq cents jeunes filles ressemblent beaucoup plus à nos lycées. De fait, c’est à peu près le même programme, avec moins de sciences naturelles, ce qui est aussi le cas pour les lycées de garçons Les gymnases sont fréquentés par les jeunes filles de la bourgeoisie, et l’instruction qu’elles y reçoivent est excellente ; on dit même qu’elle a provoqué une heureuse émulation dont se ressentent les programmes des Instituts de la noblesse. C’est presque exclusivement des gymnases que sortent les étudiantes et les doctoresses.

Il fut un temps héroïque, pour ainsi dire, où ces deux mots suggéraient l’idée de brouille avec la famille et de fuite à l’étranger, à la suite quelquefois d’un mariage simulé qui restait tel presque toujours, quelque peine que nous puissions avoir à le croire. L’étudiant qui acceptait d’épouser, pour la libérer, une jeune fille de bonne famille, assez résolue pour venir elle-même lui demander ce service, tenait d’ordinaire avec une religion admirable sa promesse de ne rien exiger d’elle. On partait ensemble pour une ville d’Allemagne ou de Suisse, et après des années de misère, l’exilée revenait, munie de diplômes, exercer un ministère de dévouement.

Aujourd’hui les parens sont moins rigoureux. L’idée d’une carrière pour les femmes commence à se faire accepter. Un père de la classe bourgeoise, le moins libéral des hommes au demeurant, dit devant moi en parlant de ses filles, toutes les quatre étudiantes dans des branches différentes, médecine, pédagogie, beaux-arts : — Oui, les temps ont changé. On ne sait trop ce que sera l’avenir. Un homme n’est pas fâché d’épouser une femme