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l’étranger ; là il lui faudrait donner des leçons pour son entretien. En trouverait-elle ? J’écoute cette pauvre enfant avec émotion. Elle ne me paraît pas de force à soutenir la lutte pour l’existence, mais une volonté indomptable la soutient. C’est cette volonté qui l’a fait venir de loin à bicyclette, par des routes de sable, très montueuses, jusqu’à l’endroit où nous nous rencontrons. Elle a fait le voyage avec deux étudians, ses camarades, qui déclarent qu’elle les a retardés, qu’elle doit être épuisée, et lui conseillent de revenir par un autre moyen de locomotion. Mais elle s’obstine. Et je sens qu’elle apportera cette même obstination aveugle, désespérée dans tout ce qu’il lui plaira d’entreprendre. Les deux jeunes gens n’insistent pas ; elle est libre, mais pour le retour ils partent sans s’occuper d’elle à un train qu’elle ne peut suivre. Avec une bonté rude qui exclut toute galanterie, quoiqu’elle soit vraiment protectrice, ils la forcent ainsi à prendre le chemin de fer. Elle n’en montre ni humeur ni dépit, rien qu’un peu d’humiliation. Elle est vaincue pour cette fois, voilà tout. L’incident me paraît très caractéristique. Aucune de ces intrépides ne consulte ses forces. Ce qu’on peut leur reprocher aussi, c’est de ne pas se spécialiser volontiers. Il y a chez elles, avec le désir de tout embrasser, une inconstance vague, une soif ardente d’expériences nouvelles, un perpétuel souci du développement de leur individualité, en dehors même de l’œuvre qu’elles se proposent d’accomplir. Le besoin de se dévouer et de souffrir est, chez la plupart, à l’état de passion. Ce n’est pas assez pour elles de soulager les malheureux ; elles veulent partager le fardeau de ceux qui sont chargés, faire, comme l’a dit l’une d’elles, leur propre douleur de la douleur des autres. Ce sont les romantiques de la philanthropie et de l’intellectualité.

Non moins intéressante que ma visite à l’Institut médical fut celle que je fis à l’édifice imposant qu’occupent les cours supérieurs également créés pour et par les femmes.

J’ai déjà dit un mot des premières tentatives d’Eugénie Konradi, rédactrice du journal la Semaine, aidée par deux autres dames, Marie Troubinskov et Nadine Stassow. En 1869, le ministère de l’Instruction publique autorisa l’admission des femmes aux cours d’histoire, de philologie, de physique et de mathématique. Ce n’était pas tout à fait réaliser les espérances des quatre cents signataires d’une supplique adressée au recteur de l’Université. Elles obtinrent, en outre, de quelques professeurs