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laïques elles montrent un dévouement qu’il serait difficile de surpasser. Tous les voyageurs en Russie ont remarqué que la pitié en ce pays était indépendante de la religion. Autant l’église est détachée de toute philanthropie, disposée à recevoir plutôt qu’à donner, autant l’assistance publique pousse le sentiment de l’humanité jusqu’à l’extrême générosité, jusqu’à l’infinie délicatesse. L’hospice des Enfans trouvés de Moscou par exemple, cet immense bâtiment au bord de la Moskowa, dont on aperçoit, à quelque point de vue qu’on se place, la haute silhouette blanche tranchant sur les couleurs bariolées et les étincelantes dorures du reste de la ville, le grand hospice des Enfans trouvés fondé par Catherine II mérite d’être cité comme modèle à tous les établissemens du même genre. La fille-mère est traitée avec autant de ménagemens que possible, l’abandon n’étant jamais considéré comme définitif ; elle reçoit un numéro sur la présentation duquel l’enfant lui sera rendu quand elle voudra. La nourrice est surveillée pendant un mois par les dames inspectrices avant d’emmener son nourrisson. L’une des ailes du bâtiment est consacrée aux mères en mal d’enfant. La plus grande discrétion entoure leur passage. Comme pour relever cet établissement et en écarter la honte, une école de jeunes filles nobles, orphelines sans fortune, y est installée. Détail piquant, la subvention annuelle de l’Etat, qui monte à plus d’un million de roubles, provient en très grande partie de la vente de jeux de cartes en Russie, une passion réparant ainsi le mal qu’une autre passion a faite.

J’ai à peine entrevu ce monde que forme à lui tout seul l’hospice des Enfans trouvés, mais j’ai passé de longues heures dans une autre maison qui recèle les manifestations bien curieuses pour nous d’une charité profondément originale, essentiellement russe. Elle fut fondée il y a trente-cinq ans environ par les frères Liapine, deux marchands de Moscou, dans le double dessein de venir en aide aux mères de famille et aux étudiantes nécessiteuses.

La rue Serpowkhovskaïa où se trouve cet établissement est située dans le quartier sud-est, derrière la ville.

Nous arrivons devant une grande porte cochère surmontée d’une image sainte, et nous nous trouvons dans une cour immense où sont dispersés plusieurs bâtimens d’aspect fort triste qui pourraient faire partie d’un couvent ou d’une caserne. La