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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 8.djvu/597

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EN PETITE-RUSSIE

I
ŒUVRE DE FEMME

Dans le courant de l’année 1884, je reçus du fond de la Russie la lettre suivante que je copie textuellement :

« Vous désirez, amie, connaître ce qui va enfin assurer mon bonheur ? Non, ce n’est pas ce que vous présumez. Un mariage ?… Jamais pensée ne fut si loin de moi. Au contraire, n’appartenir à personne en particulier pour appartenir à tous en général, voilà mon point de départ vers un but déterminé. Si le bonheur peut se définir contentement intime, calme et inaltérable, résultant de la satisfaction des penchans supérieurs de notre nature, je suis en possession du bonheur, car à force de chercher ma voie, je l’ai enfin trouvée, si nettement indiquée par les circonstances qu’il ne peut y avoir ni fluctuation ni doute d’aucune sorte. Je serais tentée d’affirmer que toutes les péripéties de mon existence se sont produites à cette seule fin. Ma situation actuelle étant donnée, rien n’est aussi approprié à mes moyens que cette œuvre, et cette œuvre ne pourrait se faire sans moi. Donc, moi et cette œuvre, nous sommes liées, fatalement peut-être ou peut-être simplement par le concours d’opportunités favorables, et c’est là, voyez-vous, la source de mon bonheur, car j’ai la certitude, après avoir consommé, de produire.

« En vivant à la campagne, j’eus l’occasion de toucher du doigt des misères profondes que jadis j’entrevoyais assurément, mais sans en tirer de conclusions immédiates, et plus se prolongeait