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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 8.djvu/836

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Le duc de Zell, au cours des négociations dont j’ai parlé plus haut, avait annoncé l’intention de venir trouver la duchesse en sa résidence de Schwerin, pour causer avec elle des affaires politiques. Celle-ci, sachant, que son époux, — fût-il à trois cents lieues de distance, — « n’aimait pas fort dans ses États la compagnie de ses voisins, » et craignant charitablement, assure-t-elle à Louvois, « de causer de la peine à un aussi grand prince, » chercha quelque expédient pour organiser l’entrevue sans bruit ainsi que sans dépenses[1]. Elle proposa comme lieu de rendez-vous un village sis « à une lieue de Deneberg, » près des frontières de la principauté. L’offre fut agréée ; et, le lundi 19 avril 1673, la duchesse se mit en chemin avec une faible escorte. Mais, au premier relais, elle apprit, non sans étonnement, qu’un ministre de ses États, « avec deux conseillers, » étaient arrivés avant elle et « demandaient audience. » Sa surprise redoubla quand ils lui dirent, quelques instans plus tard, qu’ils avaient l’ordre exprès du duc de Mecklembourg d’arrêter son voyage et de la retenir dans la principauté. Vainement, folle de colère, mande-t-elle « son écuyer, » ordonne-t-elle à voix haute que l’on fasse venir « ses carrosses. » L’écuyer lui répond « que cela lui est défendu, et qu’il y avait un lieutenant venu de l’armée qui ferait sa charge, s’il y manquait, d’après ce qui lui avait été ordonné du Conseil… » — « Je dis alors, continue le récit, que je voulais descendre pour commander moi-même à mes gens ; mais Ton me retint, en me disant de ne me pas exposer à des brutaux qui étaient en bas. Enfin, monsieur, je suis prisonnière ! Je vous supplie de le faire savoir à mon frère, car je n’ai nulle voie pour cela… Je crois que, si M. le duc de Mecklembourg passe par ou près de Ligny, mon frère ne ferait pas mal de l’y retenir jusqu’à ce que je sois libre ; car c’est une injustice et une extravagance trop grandes !… J’espère un peu de votre bonté, quoique je ne sois pas d’humeur à me flatter ni à croire que personne songe à moi, étant trop inutile dans le monde. »

Luxembourg fut vite informé des tribulations de sa sœur, et manifesta sur-le-champ une irritation violente : « J’apprends, écrit-il à Louvois[2], que ma sœur est fort bien traitée en Mecklembourg, que son mari ne veut pas qu’elle en parle, et même que cela ne lui est point permis. Je ne sais si le Roi trouverait bon

  1. Lettre du 20 avril 1673. — Archives de la Guerre, t. 360.
  2. 2 mai 1673. — Archives de la Guerre, t. 323.