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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 8.djvu/950

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quelques-uns sont pris de scrupules : ils se demandent s’ils ne font pas un peu plus que de raison le jeu de leurs voisins, et alors se produisent des hésitations, des conflits, des scissions. Mais la force des choses finit par reprendre son empire, et, bon gré mal gré, la bataille rapproche les combattans.

Le ministère actuel, par la fatalité même de son origine et de sa composition, a alarmé ou blessé des intérêts respectables toutes les fois qu’il a dû donner des satisfactions à ses amis. Nous nous sommes bien promis de ne reparler jamais, sans une obligation absolue, de la triste affaire qui a pesé si lourdement sur nos destinées politiques depuis cinq ou six ans ; mais enfin, sans elle, nous n’aurions jamais vu ce ministère. À qui la faute, si tous les ennemis de l’armée, — car l’armée, hélas ! a des ennemis, — se sont passionnément ralliés à lui ? À qui la faute, si tous ceux dans l’esprit desquels l’idée de patrie s’est obscurcie, — car, hélas ! il y en a également, — ont été les plus enragés de ses soutiens ? Nous ne sommes pas assez injustes pour dire et pour croire que le ministère a, de parti pris, favorisé les sentimens des uns et des autres ; il a même fait des phrases contre eux ; mais enfin un gouvernement est responsable de sa clientèle. Et, dès lors, comment s’étonner si, dans beaucoup d’âmes généreuses, une révolte s’est produite ? Que l’armée ait été attaquée, non seulement dans la personne de ses chefs, mais dans les principes essentiels sur lesquels elle repose, rien n’est moins douteux. Qu’un cosmopolitisme malsain ait été souvent opposé à la notion de patrie, rien n’est plus certain. Nous pourrions remplir plusieurs de nos chroniques de citations empruntées aux journaux, aux revues, aux livres, aux discours de politiciens, et qui confirmeraient, assez inutilement d’ailleurs, ce que tout le monde sait à ce sujet. De là est sorti le mouvement nationaliste, dont la Ligue de la Patrie française a pris la direction. Cette direction a pu prêter à des critiques. Le parti nationaliste, — si on peut donner le nom de parti à cet assemblage d’hommes venus de tous les points de l’horizon politique, — prête certainement à l’équivoque et ne nous offre aucun avenir défini. Nous avons des réserves à faire sur plus d’un détail de son action : mais il y a là un sentiment généreux, qu’on ne peut pas et qu’on ne doit pas juger seulement sur ses déviations. Qui l’a provoqué, ce sentiment ? Qui lui a donné tant d’ardeur et quelquefois d’exaltation ? C’est la campagne contre l’armée et contre la patrie elle-même à laquelle nous avons assisté. Le nationalisme est une protestation. Cette protestation a eu un grand retentissement dans certaines régions de la France, et en particulier dans