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Castro haussait le ton jusqu’au défi : « Les petits peuples, faisait-il dire par la presse à sa dévotion, les petits peuples, au moyen de leur armée et de leur marine, ont aussi la force et peuvent la faire sentir. On ferait bien de ne pas mettre le président Castro dans l’obligation d’agir et de procéder avec énergie, car on pourrait en souffrir. » Qui, on ? Ni plus ni moins que l’Angleterre, l’Allemagne, l’Italie, et un peu les États-Unis, la France, la Hollande, mêlés à des titres divers et par certains de leurs nationaux à ces histoires vénézuéliennes, car voilà le mauvais côté de la civilisation moderne : avec l’extrême facilité des communications et l’appât d’un commerce plus étendu, il y a partout des gens de partout ; les peuples à présent se compénètrent, et l’on ne peut plus se battre entre soi sans risquer par là même d’en blesser d’autres et de se voir contraint à des réparations coûteuses.

On avait appris vers le milieu de juin que le président Castro venait de déclarer confisqués les biens provenant de la succession d’un de ses prédécesseurs, l’ancien président de la République Guzman Blanco, et que le représentant de la France à Caracas, notre consul M. Quiévreux, avait dû protester contre la saisie de ces biens, dont une partie appartient à M. le duc de Morny, du chef de sa femme, fille de Guzman Blanco. Le l’établissement de nos relations diplomatiques avec le Venezuela était tout récent, si récent que la légation de France à Caracas était encore vacante ; et ce nouvel incident faisait craindre une nouvelle rupture. D’autre part, la révolution s’était, comme d’ordinaire les révolutions, abandonnée à toutes sortes d’excès. En vingt endroits, et notamment à Barcelona, beaucoup de propriétés avaient été détruites ; vingt-neuf maisons de commerce, la plupart étrangères, et quinze maisons particulières, saccagées ; des perquisitions, opérées ; et de l’argent extorqué aux habitans terrorisés, sous promesse d’épargner leur vie et celle des leurs. Cela se passait en août. En septembre, lesdits révolutionnaires faisaient sauter les ponts du chemin de fer allemand de Valencia à Caracas et deux ponts du chemin de fer anglais de Caracas à la Guayra. Aussi révolutionnaire qu’eux, le gouvernement faisait plus fort. Le navire vénézuélien le Réstaurador s’avançait sous pavillon américain et bombardait Ciudad-Bolivar, le grand port de l’Orénoque, occupé par les insurgés ; il s’en tirait avec des excuses, en saluant le drapeau étoilé. Ce qui n’empêchait pas le président Castro de faire arrêter en octobre à Carupano notre agent consulaire, qu’il ne relâchait que sur une protestation vigoureuse. La Hollande y joignait la sienne pour la saisie de deux goélettes ; et, avec l’Angleterre, elle